(Calgary) Les groupes écologistes se tournent de plus en plus vers la Loi sur la concurrence pour s’opposer à l’industrie des carburants fossiles.

Au cours de la dernière année, des groupes écologistes canadiens ont déposé pas moins de quatre plaintes formelles auprès du Bureau de la concurrence, l’organisme fédéral indépendant d’application de la loi qui protège la concurrence.

Selon les plaignants, les entreprises ou-dans un cas-celles qui les financent ont eu recours à des publicités mensongères ou trompeuses. Pour l’instant, aucune des allégations de méfait n’a encore été prouvée.

Les écologistes espèrent que leur nouvelle stratégie attirera l’attention de la population vers ce qu’ils considèrent comme « de l’écoblanchiment ».

« Nous sommes rendus à un stade où les climatosceptiques sont de plus en plus rares, dit Keith Brooks, directeur des programmes d’Environmental Defense. La majorité des entreprises conviennent qu’il s’agit d’un enjeu et qu’il est nécessaire d’atteindre la carboneutralité. Mais le problème, c’est que ce ne sont que des mots. Aucune véritable mesure n’est prise. Ce n’est qu’une tactique [des producteurs pétroliers] pour retarder leur action. »

Par exemple, une plainte a été déposée contre Alliance nouvelles voies, un groupe de six grandes entreprises du secteur de l’énergie fossile, dont l’Impérial et Suncor. Des groupes environnementaux s’opposaient à une immense campagne publicitaire au sujet des objectifs de carboneutralité de l’industrie.

Le Bureau de la concurrence du Canada mène actuellement une enquête afin de déterminer si l’Alliance nouvelles voies a usé de pratiques commerciales trompeuses.

Greenpeace, qui est à l’origine de la plainte, fait notamment valoir que dans son plan vers la carboneutralité, l’industrie ne tient pas compte des GES émis lors de l’utilisation du pétrole, qui est principalement exporté et brûlé ailleurs dans le monde.

L’Alliance nouvelles voies reconnaît avoir été surprise par la plainte déposée contre sa campagne publicitaire dont le but, selon elle, était d’informer les Canadiens qu’elle comprenait leurs inquiétudes au sujet des changements climatiques et qu’elle voulait faire partie des solutions.

« Faire l’objet d’une plainte auprès du Bureau de la concurrence, cela nous a surpris dans un premier temps parce que nous avons l’impression que nous avons écouté ce que les gens avaient à dire et que nous avons réagi comme on nous le demandait », dit Kendall Dilling, le président d’Alliance nouvelles voies.

Des plaintes ont aussi été déposées contre l’Association canadienne du gaz, contre Enbridge et contre la Banque Royale.

Des précédents

Il existe des précédents où le Bureau de concurrence est intervenu dans des causes environnementales.

En janvier 2022, Keurig Canada a accepté de verser une amende de 3 millions après qu’une enquête de l’organisme fédéral eut déterminé que ses capsules K-Cup à usage unique n’étaient pas réellement recyclables.

Il y a quelques années, le Bureau avait conclu un accord avec Volkswagen qui avait contraint le fabricant automobile à verser 17,5 millions pour représentations commerciales fausses ou trompeuses dans la promotion de leurs véhicules dotés de moteurs diesel de 2,0 litres.

Leah Temper, directrice de la campagne sur l’interdiction de la publicité sur les combustibles fossiles de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, croit que le Canada accuse un retard sur cette question.

L’Union européenne, par exemple, a adopté une loi visant à éliminer l’écoblanchiment en interdisant des termes comme « carboneutralité » dans les publicités.

« Si on observe ce que d’autres juridictions font, on constate qu’elles sont plus proactives dans ce domaine », signale Mme Temper.

Selon elle, l’actuel examen des politiques fédérales sur la concurrence signifie que le moment est bien choisi pour soulever des inquiétudes.

« Le Bureau de la concurrence du Canada n’a même pas une section environnementale, contrairement à plusieurs de nos partenaires commerciaux », fait valoir Mme Temper.

Le Bureau de la concurrence dit qu’une de ses priorités est de sévir contre toute publicité trompeuse, y compris les affirmations non prouvées de certaines entreprises de tous les domaines. Il dit avoir constaté une augmentation des publicités environnementales trompeuses ou non vérifiées par des entreprises.

Joanne McNeish, professeur agrégée de marketing de l’Université Toronto Metropolitain, dit que l’industrie des carburants fossiles ont ressenti la pression de communiquer, non seulement aux consommateurs, mais aussi aux investisseurs et aux gouvernements.

« Les entreprises ont l’impression que si elles ne réagissent pas, elles laissent tout le terrain aux écologistes », mentionne-t-elle.

Et ces militants, ajoute-t-elle, utilisent de plus en plus des moyens juridiques, comme la Loi sur la concurrence, pour faire valoir leur point de vue.

« Autrefois, le militantisme écologiste utilisait des moyens vraiment radicaux, comme l’occupation d’un bateau ou le blocage d’un pétrolier. Il est en transition vers des activités plus bureaucratiques, plus administratives, plus juridiques. C’est un militantisme plus sophistiqué. »