Faire payer l’industrie du camionnage les kilomètres parcourus sur les routes, développer le transport ferroviaire et maritime de marchandises ; Québec doit changer d’approche pour réussir à décarboner le secteur du transport lourd, plaide le Comité consultatif sur les changements climatiques dans un avis qui sera rendu public ce mercredi et que La Presse a obtenu.

Ce qu'il faut savoir

  • Québec doit développer le transport ferroviaire et maritime de marchandises et imposer une contribution kilométrique au camionnage pour réussir à décarboner le secteur du transport lourd, plaide le Comité consultatif sur les changements climatiques.
  • Le gouvernement doit aussi mettre en place des mesures favorisant la « sobriété matérielle » en diminuant la quantité de biens devant être transportés, comme l’économie circulaire, l’économie collaborative et l’écoconception.
  • Les émissions de gaz à effet de serre du transport par camion au Québec ont augmenté de 61 % de 1990 à 2021.

« Le système actuel de mobilité des marchandises n’est pas orienté vers l’efficacité énergétique et encore moins vers l’atteinte de la carboneutralité », écrit le comité indépendant chargé de conseiller le ministre québécois de l’Environnement, qui estime que la croissance des émissions de gaz à effet de serre (GES) de ce secteur reflète « la déficience des mesures mises en place » par Québec.

Bien que la Politique de mobilité durable – 2030 du gouvernement québécois s’inspire de l’approche internationalement reconnue « Réduire – Transférer – Améliorer », les mesures proposées relèvent essentiellement de la troisième et dernière étape, négligeant les deux premières, déplore l’avis.

Avant d’améliorer l’efficacité énergétique du transport de marchandises, comme Québec tente de le faire, il faut d’abord chercher à réduire les besoins en transports, puis opter pour des modes de transport moins énergivores pour répondre aux besoins qui demeurent, expliquent les auteurs.

« Une véritable vision du transport décarboné reste encore à mettre en œuvre, on n’a pas ça », a déclaré dans un entretien avec La Presse le professeur en économie de l’environnement à l’Université de Sherbrooke Alain Webster, qui préside le comité. « Il y a de l’ouvrage, le gouvernement doit innover. »

Faire payer les camions

Pour favoriser le transfert d’une partie « significative » du déplacement de marchandises du camion vers le train ou le bateau, le comité recommande l’imposition d’une contribution kilométrique pour le camionnage.

Une telle mesure diminuerait l’attrait financier du transport routier et lui ferait assumer les « coûts externes » qui lui sont associés, comme la dégradation des routes, la congestion, la pollution de l’air, la pollution sonore, les accidents et l’accélération des changements climatiques, explique l’avis.

Le transport lourd génère au Québec des coûts externes de 864 millions de dollars par année, dont 34 millions uniquement pour la portion de la route 138 entre Tadoussac et Sept-Îles, souligne l’avis, citant deux études, ajoutant que c’est l’ensemble des contribuables qui assument ces frais, tandis que les industries ferroviaire et maritime paient l’essentiel de leurs infrastructures.

« Ce n’est pas qu’on veut taxer plus, c’est qu’on veut que [la répartition des coûts] soit plus juste », a indiqué à La Presse Matthieu Mondou, responsable de la recherche et de la rédaction de l’avis, ajoutant qu’une telle mesure aurait l’effet positif de « libérer les voies » pour les automobilistes.

Stratégie ferroviaire et maritime

Québec devrait aussi mettre en œuvre une stratégie ferroviaire et maritime favorisant un important transfert modal, recommande l’avis, suggérant de prévoir des emplacements pour le déploiement de nouvelles liaisons ferroviaires, des installations portuaires régionales et des centres de transfert intermodal.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Québec doit développer le transport ferroviaire et maritime de marchandises et imposer une contribution kilométrique au camionnage pour réussir à décarboner le secteur du transport lourd, plaide le Comité consultatif sur les changements climatiques.

Le transport d’une même quantité de marchandise requiert 92 % moins de carburant en train qu’en camion, et 86 % moins en bateau, rappellent les auteurs, ajoutant que le nombre de travailleurs requis est également beaucoup moins élevé dans les secteurs maritime et ferroviaire.

Le transport par camion devrait quant à lui être réservé aux distances de moins de 200 kilomètres, ce qui répondrait aux enjeux d’autonomie liés à l’électrification de ces véhicules et rendrait le secteur plus attrayant en éliminant les longs déplacements, soutient le comité.

Les camions ne vont pas disparaître, ce n’est pas un appel contre ce type de transport, mais on peut l’utiliser de façon plus efficace.

Alain Webster, président du comité consultatif sur les changements climatiques

Québec peut aussi avoir un impact sur la réduction de la demande en transport en favorisant l’économie circulaire, l’économie collaborative et l’écoconception, qui favorisent la « sobriété matérielle » en diminuant la quantité de biens devant être transportés, souligne l’avis.

Il importe également d’optimiser le transport par camion pour réduire les déplacements à vide, qui représentent jusqu’à 37 % du total au Québec, selon une étude du ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec, ajoute le document.

« Cercle vicieux » à briser

Des décennies d’investissements gouvernementaux dans les infrastructures routières ont favorisé le développement du transport lourd par la route, menant à un « verrouillage logistique » qui s’autoalimente aujourd’hui, indique l’avis.

« En privilégiant le transport routier, au détriment des transports ferroviaire et maritime, les autorités publiques stimulent l’investissement des entreprises dans des entrepôts, dans des sites de production et dans des centres logistiques près des nouvelles infrastructures routières », ce qui fixe la demande et renforce l’avantage comparatif du camionnage, expliquent les auteurs.

Ce « cercle vicieux » n’est pas simple à briser, reconnaît Alain Webster, mais il démontre que des « investissements adéquats » pourraient avoir un impact positif sur le développement du transport maritime et ferroviaire.

Les véhicules lourds routiers du Québec ont émis 6,7 millions de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (Mt éq. CO2) en 2021, soit 8,7 % des émissions totales de GES du Québec.

Il s’agit d’une augmentation de 61 % par rapport à leur niveau de 1990, nettement plus importante que l’augmentation de la population et du produit intérieur brut, alors que les émissions totales du Québec ont diminué de 8,1 % pendant la même période.

En savoir plus
  • 22 %
    Proportion de camions lourds parmi les véhicules empruntant le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, à Montréal (données de 2020)
    Source : ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec
    9 %
    Proportion de camions lourds parmi les véhicules empruntant le pont Pierre-Laporte, à Québec (données de 2020)
    Source : ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec