Un article sur l’avenir du voyage publié il y a 40 ou 50 ans aurait spéculé sur les destinations nouvellement accessibles. Aujourd’hui, alors que ceux et celles qui en ont les moyens sont à un vol d’avion (ou deux) de la plupart des pays du monde, c’est la perte de ces acquis qui est envisagée. Comment et où voyagerons-nous à l’avenir ?

PHOTO PHILIPPE DESMAZES, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le glacier du mont Blanc fond de 5 à 8 mètres par année.

Voir, avant qu’il ne soit trop tard

Incendies dévastateurs à Hawaii et en Colombie-Britannique, chaleur extrême en Europe : les aléas climatiques se sont dressés sur le chemin de nombreux voyageurs cet été. Avec l’accélération des changements climatiques, les scientifiques sont d’avis que ces évènements se produiront plus régulièrement. Mais plutôt que de freiner l’ardeur des voyageurs, ces menaces pourraient, à court terme, avoir l’effet contraire.

Devenu un symbole des conséquences du réchauffement climatique en France, le glacier Montenvers-Mer-de-glace attire chaque année des visiteurs venus assister à sa disparition. Ce glacier du massif du mont Blanc fond de 5 à 8 mètres par année.

PHOTO LUCAS JACKSON, ARCHIVES REUTERS

La Grande Barrière de corail

La Mer de glace, tout comme la Grande Barrière de corail, l’Antarctique, Venise et même Churchill, au Manitoba, reconnu pour ses ours polaires, attirent les adeptes de ce que les chercheurs nomment le « tourisme de la dernière chance », qui consiste à aller observer des écosystèmes menacés de disparaître à moyen terme. Même si ce phénomène est encore marginal, son accélération est « l’un des pronostics les plus faciles à établir », selon le géographe français Rémy Knafou, auteur de l’essai Réinventer le tourisme – En finir avec les hypocrisies du tourisme durable, paru au Québec en juin dernier.

« S’il n’y a pas un minimum d’ententes au niveau international et de messages symboliques forts pour montrer qu’il est nécessaire d’entrer dans une phase nouvelle de notre histoire, à la fois dans notre rapport à la Terre et dans notre histoire touristique, il y a malheureusement presque toutes les chances de penser que ce tourisme de la dernière chance va s’accélérer », affirme le professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui prône, dans son essai, la sanctuarisation de l’Antarctique.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

À Tignes, le glacier d’été a été contraint de fermer avec un mois d’avance l’an dernier.

Fini le ski ?

Le ski dans les Alpes, un des secteurs de recherche de Rémy Knafou, est déjà menacé, plusieurs stations de ski en basse altitude ayant été démantelées.

On voit bien qu’en dehors des stations hautes, d’ici le milieu du siècle, il sera difficile de skier [dans les Alpes], même avec de l’enneigement artificiel. Donc, on commence à envisager la disparition de lieux touristiques.

Rémy Knafou, géographe et auteur

Au Québec, la diminution des fenêtres de froid et l’augmentation des périodes de redoux affecteront aussi la pratique du ski alpin dans le sud de la province. Une analyse économique réalisée par Ouranos en 2019 note qu’« en l’absence d’adaptation, l’ouverture, la durée de la saison et le pourcentage du domaine skiable ouvert seront affectés ». « Je ne pense pas qu’il y aura la disparition de certaines activités, mais elles vont être davantage fragilisées », croit Chantal Quintin, spécialiste en recherche et transfert de connaissances chez Ouranos, un organisme qui accompagne l’industrie touristique dans l’adaptation aux changements climatiques.

Consultez l’analyse réalisée par Ouranos

Ainsi, les stations de ski devront s’adapter, pas seulement en misant sur l’enneigement artificiel, mais en diversifiant leur offre sur quatre saisons, souligne Mme Quintin, en rappelant qu’un tourisme durable doit tenir compte des impacts économiques, sociaux et environnementaux, actuels et futurs.

PHOTO EMILIO MORENATTI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un quai asséché à Barcelone, en Espagne, au printemps dernier

Restrictions, quotas ou taxes

Pour se protéger du surtourisme, certains pays pourraient restreindre le nombre de visiteurs autorisés à entrer sur leur territoire, imposer une taxe de séjour, comme le Bhoutan, ou une réservation obligatoire avec droit d’entrée, comme le prévoit Venise.

Dans un contexte d’amoindrissement des ressources naturelles et énergétiques, décidera-t-on de les conserver pour les communautés locales ? s’interroge Pascale Marcotte qui, au moment de l’entrevue, était professeure titulaire au département de géographie de l’Université Laval et directrice du certificat en tourisme durable. « On a vu l’année dernière les sécheresses en France, cette année en Espagne. Quand on n’a plus d’eau pour notre collectivité, est-ce qu’on est content de voir des visiteurs arriver ? »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Les travaux de recharge de plage effectués sur le site historique de La Grave, aux Îles-de-la-Madeleine, avant le passage de la tempête Fiona en septembre dernier

Fragiles Îles-de-la-Madeleine

Crues printanières plus abondantes, épisodes de forte chaleur en été, pluies extrêmes à l’automne : pour l’industrie touristique québécoise, les défis varieront selon les régions et les saisons, précise Chantal Quintin. Parmi les zones touristiques les plus touchées figurent les municipalités côtières de l’est du Québec ainsi que les Îles-de-la-Madeleine. Fréquentées l’été par de nombreux Québécois, qui y ont trouvé un ailleurs chez eux, les côtes de cet archipel mythique ont reculé de 55 centimètres par année en moyenne de 2005 à 2020. Plusieurs mesures d’atténuation sont mises en place, comme l’enrochement, les recharges de sable, ainsi que la sensibilisation des visiteurs à la fragilité du littoral.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Dominic Lapointe, chercheur en sciences sociales

Professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal, Dominic Lapointe guide les acteurs de l’industrie touristique madelinienne dans leur adaptation. Pour ce chercheur en sciences sociales, c’est une « transformation du regard » et de la relation de proximité avec la mer qui est à prévoir pour les visiteurs. Celui qui visite régulièrement l’archipel cite en exemple les travaux de recharge de plage effectués sur le site historique de La Grave qui modifient l’allure du paysage.

C’est l’imaginaire touristique même lié au Saint-Laurent qui doit être revu, ajoute-t-il, puisque séjourner en bord de mer ne sera peut-être plus possible. « Cet attrait vers l’eau ne disparaîtra pas, mais il va se modifier », prédit-il, amenant possiblement une plus grande accessibilité au littoral qui ne sera plus soumis autant à des intérêts privés.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

À quand les trains à grande vitesse au Canada ?

Voyages de proximité

Si la pandémie a permis aux Québécois de découvrir leur province, cette tendance pourrait s’ancrer, selon les experts consultés, notamment parce que le coût des voyages pourrait continuer d’augmenter. « Comme consommateur, on va peut-être se rendre compte que le prix qu’on payait jusqu’à maintenant n’était pas un prix juste, au sens où il ne tenait pas compte des externalités », affirme Pascale Marcotte.

Dans l’avenir, certains pourraient ainsi être forcés de renoncer à l’avion, soit pour des raisons économiques, soit parce qu’un système de quotas de carbone aura été instauré, ou soit, comme Rémy Knafou, par convictions personnelles.

Les changements climatiques, couplés à la raréfaction des énergies fossiles et aux considérations géopolitiques, amènent ainsi l’auteur à réfléchir à une possible démondialisation du tourisme.

Cela dit, bien qu’il écrive que, puisqu’il n’a pas toujours existé, le tourisme pourrait disparaître, le professeur ne croit pas vraiment que cela arrivera. « Le tourisme fait partie de nos modes de vie et même les populations du monde qui n’y accèdent pas ont l’espoir d’y accéder un jour. Il faut vivre avec le tourisme, mais il faut l’adapter. »

L’adapter, cela signifie aussi aller vers une mobilité durable et des transports collectifs. À ce chapitre, le Québec et l’Amérique du Nord accusent un grand retard, alors qu’on assiste en Europe à un retour vers les déplacements en train, notamment avec le démarrage de plusieurs projets de lignes transfrontalières de nuit. Le train à grande vitesse reliant Montréal à Toronto arrivera-t-il avant les avions long-courriers décarbonés ? Les paris sont lancés.

En savoir plus
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    Nombre de stations de ski qui ont cessé leurs activités en France depuis 1951
    source : Travaux du géographe Pierre-Alexandre Métral, cités par l’Assemblée des Départements de France
    De 7 à 10 jours
    Dans les Cantons-de-l’Est, le début de la saison de ski accusera un retard d’environ 7 à 10 jours à l’horizon 2050 par rapport à 2020. Sur la durée totale de la saison, on observera une réduction de 10 à 20 jours d’activité.
    source : Analyse économique des mesures d’adaptation aux changements climatiques appliquée au secteur du ski alpin au Québec, Ouranos, 2019