Face à une crise climatique dont les effets sont de plus en plus visibles, le nombre de recours juridiques contre l’inaction des gouvernements a explosé depuis cinq ans. Partout sur la planète, ce sont surtout les jeunes qui mènent la bataille. Avec des résultats bien concrets dans plusieurs pays.

Le combat des jeunes

C’est le nouveau cheval de bataille de nombreux jeunes pour forcer gouvernements et entreprises à revoir à la hausse leurs engagements climatiques. Entre 2017 et 2022, le nombre d’actions en justice a plus que doublé, selon le plus récent rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dévoilé jeudi. Si la majorité des poursuites sont toujours déposées aux États-Unis, le nombre de cas dans le reste du monde a presque triplé en cinq ans. Selon les données compilées pour l’Organisation des Nations unies (ONU) par le Sabin Center for Climate Change Law, le phénomène a aussi lieu dans des pays en développement, lesquels ont peu contribué historiquement aux émissions de gaz à effet de serre (GES).

De 884 cas à… 2180 en cinq ans

En 2017, le Sabin Center for Climate Change Law, affilié à l’Université Columbia, aux États-Unis, a répertorié 884 actions « climatiques » dans le monde. Cette année-là, la station de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) de Mauna Loa, à Hawaii, a enregistré une concentration de CO2 dans l’atmosphère de 407,56 parties par million (ppm), le 29 décembre 2017. Cinq ans plus tard, en 2022, 2180 poursuites ont été relevées dans 65 pays. Le 30 décembre 2022, la concentration de CO2 dans l’atmosphère pointait à 419,1 ppm. Les poursuites s’attaquent principalement à l’inaction des gouvernements face aux changements climatiques ou encore à leurs engagements qui ne sont pas respectés.

La majorité des poursuites dans les pays du Nord

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Militants prenant la pose le 29 juin dernier devant le tribunal administratif de Paris après que celui-ci eut rendu une décision donnant au gouvernement français jusqu’au 30 juin 2024 pour mieux respecter les cibles de réduction de l’utilisation des pesticides, notamment

Si les États-Unis remportent la palme du nombre de poursuites (1522 en 2022), la tendance s’accélère dans le reste du monde, où le nombre d’actions est passé de 230 à 658, entre 2017 et 2022. On retrouve l’Australie (127), le Royaume-Uni (79), l’Allemagne (38), le Canada (34) et le Brésil (30) en quintette de tête. La France est au septième rang avec 22 litiges, dont certains ont fait grand bruit ces dernières années. Neuf poursuites sur dix sont intentées dans des pays de l’hémisphère Nord, qui ont largement contribué aux émissions de GES depuis l’ère préindustrielle.

« Une ressource inestimable »

« Les citoyens se tournent de plus en plus vers les tribunaux pour lutter contre la crise climatique, en demandant des comptes aux gouvernements et au secteur privé et en faisant des recours juridiques un mécanisme clé pour garantir l’action climatique et promouvoir la justice climatique », a déclaré jeudi Inger Anderson, directrice exécutive du PNUE. Selon Michael Gerrard, directeur du Sabin Center, « ce rapport constituera une ressource inestimable pour tous ceux qui souhaitent obtenir le meilleur résultat possible dans les forums judiciaires et comprendre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas ».

L’Allemagne forcée de revoir sa loi climat

PHOTO ODD ANDERSEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un militant du mouvement écologiste Extinction Rebellion qui s’est collé les mains à une vitrine du siège du parti de l’Union chrétienne-démocrate se fait interpeller par des policiers, à Berlin, en août 2021.

Parmi les cas les plus célèbres, on retrouve notamment cette décision de la Cour constitutionnelle allemande, en 2021, qui a statué que la loi sur le climat adoptée en 2019 ne prévoyait pas « d’exigences suffisantes pour la réduction ultérieure des émissions [de GES] à partir de 2031. Le tribunal allemand a aussi conclu que la loi portait préjudice aux jeunes. L’ancien gouvernement d’Angela Merkel s’était vu forcé de revoir sa loi après cette décision : Berlin avait annoncé que son objectif de réduction des GES passait de 55 % à 65 % d’ici 2030 et que le pays serait carboneutre en 2045, soit cinq ans plus tôt que prévu.

Une poursuite historique aux États-Unis

Aux États-Unis, l’affaire la plus célèbre implique une quinzaine de jeunes du Montana qui ont accusé l’État d’enfreindre la Constitution, qui leur garantit le droit à « un environnement propre et sain ». Dans un procès qui s’est déroulé en juin dernier, les 16 jeunes âgés de 5 à 22 ans ont cherché à démontrer que le soutien du Montana à l’industrie fossile nuit à leur qualité de vie et à leur avenir. Fait à noter, la Cour suprême de l’État avait préalablement autorisé la tenue du procès, malgré plusieurs tentatives des autorités pour faire annuler la poursuite.

Bientôt plus de poursuites au Canada ?

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La Cour suprême du Canada, à Ottawa

Au Canada, sept jeunes ont obtenu en 2021 l’autorisation de poursuivre le gouvernement de l’Ontario sur ses engagements climatiques. De jeunes Québécois ont eu moins de chance lorsque la Cour suprême du Canada a refusé en 2022 d’entendre l’organisation Environnement Jeunesse, qui souhaitait intenter une action collective contre le gouvernement canadien. Cependant, des modifications récentes à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement garantissent maintenant le droit à un environnement sain. En entrevue avec La Presse, en juin dernier, l’avocat Merlin Voghel, du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) avait indiqué que cette nouvelle disposition législative ouvrait la porte à d’autres recours juridiques au pays.

Consultez le rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (en anglais)
En savoir plus
  • 54 %
    Selon un récent rapport du Grantham Research Institute on Climate Change, dans les cas où une décision sur le fond a été rendue, 54 % des poursuites ont mené à un renforcement des actions contre les changements climatiques.
    Source : Grantham Research Institute on Climate Change
    45 %
    En 2021, la justice néerlandaise a condamné le groupe Shell à réduire ses émissions de CO2 de 45 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2019.
    Source : Le Monde