Québec mène actuellement une bataille judiciaire pour faire annuler des certificats d’autorisation délivrés avant 2017, qui permettent le remblayage de milieux humides. Le ministère de l’Environnement soutient que ces autorisations ne sont plus valides puisque les promoteurs n’ont pas encore réalisé leurs travaux.

Selon des informations transmises à La Presse par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP), au moins 25 certificats d’autorisation ont été révoqués au cours des deux dernières années en vertu de nouvelles dispositions de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) qui ont été adoptées en 2017.

Malgré plusieurs demandes de La Presse, le MELCCFP n’a pu cependant indiquer combien d’autorisations délivrées avant 2017 n’ont toujours pas été réalisées.

Parmi les demandeurs qui ont vu leur autorisation annulée, on trouve notamment les villes de Québec et de Mont-Saint-Hilaire, ainsi que les entreprises Monit et Demax construction qui détenaient des certificats délivrés en 2009, 2012 et 2013.

Au moins trois promoteurs ont contesté les avis d’annulation transmis par le MELCCFP en 2021 et en 2022. L’affaire sera entendue par la Cour d’appel du Québec, le 22 mars prochain, après que la Cour supérieure a tranché en faveur des promoteurs en septembre dernier.

Délai de deux ans

Selon le Ministère, ces autorisations délivrées pour remblayer des milieux humides ont été annulées puisque les promoteurs n’ont toujours pas commencé les travaux dans un délai de deux ans après l’entrée en vigueur, en mars 2018, de l’article 46.0.9 de la Loi sur la qualité de l’environnement. Celui-ci a été ajouté après l’adoption de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques en juin 2017.

L’article 46.0.9 indique que « le titulaire d’une autorisation relative à un projet dans des milieux humides et hydriques doit débuter l’activité concernée dans les deux ans de la délivrance de cette autorisation ou, le cas échéant, dans tout autre délai prévu à l’autorisation. À défaut, l’autorisation est annulée de plein droit et toute contribution financière versée par le titulaire en vertu du premier alinéa de l’article 46.0.5 lui est remboursée, sans intérêts, à l’expiration de ce délai ».

Trois demandeurs visés par ces annulations ont plaidé en Cour supérieure que cet article ne s’applique pas aux certificats d’autorisation délivrés avant le 7 avril 2017.

Les trois entreprises avaient obtenu des autorisations en échange d’une compensation, soit le don d’un terrain ou l’attribution d’une servitude de conservation. Société en commandite Parc Centre-Est 440 avait obtenu un certificat d’autorisation en juillet 2008, tandis que ceux de Nicanco Holdings inc. et de Terrains St-Hyacinthe S. E. C. dataient respectivement de mars 2014 et mars 2017.

Dans le cas de Nicanco Holdings, le promoteur conteste l’annulation de son certificat d’autorisation lui permettant de remblayer des milieux humides afin de réaliser un projet de lotissement dans le secteur Sandy Beach, à Hudson.

Un groupe de citoyens conteste d’ailleurs le projet. Ils ont commandé un rapport en 2021 à la firme TerraHumana Solutions : celui-ci contredit l’évaluation écologique réalisée pour le compte du promoteur.

Une première victoire pour les promoteurs

Dans une décision rendue le 7 septembre dernier, le juge David R. Collier, de la Cour supérieure, a tranché en faveur des promoteurs en concluant que l’article 46.0.9 ne s’appliquait pas aux autorisations remises avant le 17 avril 2017.

Selon le magistrat, sauf pour des cas bien précis, cet article n’a pas d’effet rétroactif.

Le 3 novembre dernier, le Procureur général du Québec (PGQ) a obtenu l’autorisation de porter l’affaire devant la Cour d’appel du Québec. Le juge Robert Mainville signale cependant que « bien que l’appel du PGQ présente des défis, notamment vertu des articles 59, 63 et 65 de la LCCMHH [Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques], il ne m’apparaît pas contraire à l’intérêt de la justice de l’autoriser puisque les questions qu’il soulève sont complexes et méritent, selon moi, que la Cour s’y penche ».

L’affaire sera entendue devant la Cour d’appel le 22 mars prochain.

Des outils à la disposition de Québec

De son côté, le directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec, Alain Branchaud, estime que Québec aurait pu depuis longtemps révoquer ces certificats d’autorisation. Il fait remarquer que l’ancienne mouture de la Loi sur la qualité de l’environnement permettait d’annuler une autorisation « si le titulaire ne s’en [était] pas prévalu dans un délai d’un an de sa délivrance ».

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Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec

« Québec aurait pu éviter un décret d’urgence du fédéral pour protéger la rainette faux-grillon [une espèce menacée] s’il avait utilisé les outils juridiques à sa disposition », croit-il. Selon M. Branchaud, le ministère de l’Environnement aurait ainsi été en mesure de révoquer des certificats d’autorisation pour remblayer des milieux humides à La Prairie, dans un secteur où l’on retrouvait une importante population de cette espèce.

Les nouvelles dispositions sont cependant plus restrictives, puisqu’il est prévu qu’une autorisation est annulée de facto si le projet n’est pas commencé dans un délai de deux ans, reconnaît-il.

« On ne peut qu’encourager Québec à utiliser tous les outils à sa disposition pour protéger la biodiversité », résume-t-il.