Plusieurs experts réclament la création d’un ordre professionnel pour les biologistes afin de mieux encadrer leur travail et, au besoin, rappeler à l’ordre ceux qui ne respecteraient par les règles déontologiques de la profession.

Le Québec compte actuellement 46 ordres professionnels. Dans cette liste, on retrouve notamment les médecins, les infirmières, les dentistes, les ingénieurs et les avocats, mais aussi les administrateurs agréés, les conseillers en ressources humaines, les urbanistes, les huissiers et les traducteurs.

Les biologistes, malgré des demandes répétées depuis plusieurs années, n’ont pas d’ordre professionnel. Un tel ordre doit être autorisé par le gouvernement du Québec en vertu du Code des professions. La mission d’un ordre professionnel, rappelons-le, est de protéger le public.

Selon Jean-François Girard, avocat spécialisé en droit de l’environnement, l’absence d’ordre professionnel nuit aux biologistes. Il estime qu’un tel ordre permettrait de mieux encadrer la pratique. « Je crois beaucoup à la vertu de la déontologie », ajoute-t-il.

La biologiste Kim Marineau, qui compte 30 ans d’expérience dans le milieu, croit aussi que les biologistes, et le public, gagneraient à ce que Québec accepte de créer un ordre professionnel pour la profession.

La faible reconnaissance du métier fait en sorte que tout le monde peut le faire. Il n’y a pas de contrôle. Il y a beaucoup de biologistes qui font des caractérisations sans aller sur le terrain.

Kim Marineau, biologiste

Est-ce qu’un ordre professionnel permettrait de corriger de telles situations ? « Les biologistes mériteraient une surveillance plus étroite », affirme pour sa part Marie-Ève Maillé, chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Sherbrooke et spécialiste des questions d’environnement et d’acceptabilité sociale.

Un ordre réclamé depuis longtemps

Les biologistes réclament pourtant la création d’un ordre professionnel depuis des décennies. Ce qui est différent maintenant, c’est que les biologistes ne sont plus les seuls à demander un tel encadrement, soutient Marie-Christine Bellemare, présidente de l’Association des biologistes du Québec (ABQ).

Une association qui n’a d’autre pouvoir que de retirer sa carte de membre à un biologiste dont la pratique serait remise en question, souligne sa présidente. L’ABQ compte environ 1100 membres. Selon Mme Bellemare, il y a environ 3000 biologistes au Québec.

Si la mission première d’un ordre professionnel est de protéger le public, Marie-Christine Bellemare ajoute que celui-ci est de plus en plus vulnérable aux décisions qui sont prises grâce au travail des biologistes. « On comprend mieux maintenant l’importance de bien gérer la biodiversité et les biologistes sont les mieux placés pour le faire. »

En décembre dernier, l’ABQ est revenue à la charge avec l’appui de l’Ordre des chimistes pour réclamer la modernisation de la Loi sur les chimistes professionnels. L’objectif serait de permettre aux biologistes et aux microbiologistes de se joindre à cet ordre professionnel au lieu d’en créer un nouveau.

Selon Marie-Christine Bellemare, si le dossier ne se concrétise pas, c’est en raison d’un manque de volonté politique. « Ça prendrait un gros scandale pour que ça fasse bouger les choses ! »

Pourtant, selon Jérôme Dupras, professeur au département des sciences naturelles à l’Université du Québec en Outaouais et spécialiste de l’évaluation économique des écosystèmes, un ordre professionnel est maintenant essentiel pour faire face aux enjeux environnementaux.

« La création d’un ordre professionnel permettrait d’améliorer des processus essentiels pour la protection de l’environnement, comme la standardisation des caractérisations écologiques, tout en reconnaissant la contribution d’une profession d’une grande importance sociétale », souligne M. Dupras.

Des rapports dénoncés par des experts

Selon les experts interrogés par La Presse, l’un des principaux enjeux, ce sont les « rapports de complaisance », une pratique jugée courante dans le monde des expertises environnementales.

« Ça ne me surprend pas qu’il y ait des rapports de complaisance [soumis au ministère de l’Environnement] », affirme l’avocat Jean-François Girard, qui a également une formation en biologie. Selon MGirard, les noms des firmes « qui sont favorables aux promoteurs » sont généralement connus dans le milieu.

La biologiste Kim Marineau confirme aussi l’existence de « rapports de complaisance » rédigés pour des promoteurs qui déposent des demandes d’autorisation au ministère de l’Environnement.

Des inventaires sont incomplets ou parfois, ils sont réalisés pendant la mauvaise période de l’année, précise-t-elle. « J’ai même déjà vu un ingénieur faire des inventaires biologiques », ajoute Mme Marineau.

Faire des inventaires au mauvais moment, ça, c’est un classique qu’on entend souvent.

Marie-Ève Maillé, chargée de cours à l’UQAM et à l’Université de Sherbrooke

De son côté, la présidente de TerraHumana Solutions, la biologiste Isabelle-Anne Bisson, ne mâche pas ses mots. « C’est honteux, les biologistes qui font ces études. Dans le milieu scientifique, ça ne serait jamais accepté. Ce sont des documents qui ne sont pas acceptables. Le ministère de l’Environnement les accepte. Ça n’a aucun bon sens. »

« Il y en a des firmes qui font ça régulièrement, faire disparaître la nature, ajoute Kim Marineau. Moi, ma richesse, c’est vraiment ma réputation », dit-elle, soulignant au passage qu’il lui arrive de refuser des contrats où les conditions ne permettent pas de réaliser le travail correctement.

La qualité des rapports soumis au ministère de l’Environnement n’est jamais évaluée, souligne aussi Kim Marineau. « Ça ne donne rien au promoteur de mettre plus d’argent pour une étude s’il obtient son autorisation en dépensant moins d’argent. »

Les fonctionnaires doivent aussi faire face à des pressions internes pour accélérer le traitement des dossiers, précisent les experts consultés par La Presse.

Par exemple, selon une directive entrée en vigueur en janvier 2023, les fonctionnaires doivent maintenant répondre aux demandes d’autorisation les plus récentes, explique Philippe Desjardins, conseiller aux communications au Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ).

« L’idée semble d’obtenir de bonnes statistiques à l’intérieur de 75 jours. Il semble que les autres demandes ne soient pas priorisées, et ce, afin d’améliorer les statistiques du Ministère », soutient M. Desjardins.

Selon Marie-Ève Maillé, le Ministère n’est pas capable de contre-vérifier les données des promoteurs. « Le budget du ministère est tout ratatiné depuis des décennies. Des gens partent à la retraite. Il y a une perte d’expertise. »

Résultat ? Les analystes au ministère de l’Environnement travaillent avec les données fournies par les promoteurs, fait-elle remarquer. « C’est un peu précaire comme base pour un système. »