La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) s’apprête à frapper un grand coup en interdisant toute construction dans les boisés et les milieux humides « d’intérêt » sur son territoire. La CMM invoque l’« urgence d’agir » pour ainsi rattraper son retard en matière de protection des milieux naturels.

La Presse a appris que les élus de la CMM seraient invités à adopter d’ici la fin du mois d’avril un projet de règlement de contrôle intérimaire interdisant pratiquement tous les travaux ou constructions dans les milieux naturels jugés « d’intérêt » par l’organisation supramunicipale. Les habitats d’une espèce menacée, la rainette faux-grillon, seront aussi protégés sur tout le territoire.

La Communauté métropolitaine de Montréal inclut les villes de Montréal, Laval et Longueuil ainsi que 79 autres municipalités, de Mirabel à L’Assomption dans la couronne nord, et de Vaudreuil-Dorion à Contrecœur au sud.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Massimo Iezzoni, directeur général de la CMM

« Nous sommes actuellement en période de consultation auprès des maires et des MRC, a confirmé à La Presse le directeur général de la CMM, Massimo Iezzoni. Le projet de règlement sera présenté au comité exécutif et au conseil [de la CMM] à la fin d’avril. C’est tout ce que je peux vous dire. »

Le projet de règlement de 28 pages obtenu par La Presse fait la liste des milieux terrestres et humides ainsi que des habitats de la rainette faux-grillon qui seront dorénavant protégés, s’il est adopté. Rappelons qu’en 2018, l’ensemble des boisés de la CMM représentaient 14 % de son territoire. Pour les milieux humides, la proportion était de 4,6 %.

IMAGE TIRÉE DU RAPPORT DE LA CMM

Milieux humides d’intérêt métropolitain selon la première version du projet de règlement, datée du 9 février

Pour Tommy Montpetit, directeur de la conservation à l’organisme Ciel et Terre, à Longueuil, le projet de règlement de la CMM est inespéré. « Il était temps. Ça prend beaucoup de courage de la part de la CMM qui souhaite enfin résister aux pressions de développement, particulièrement pour protéger une espèce menacée comme la rainette. J’espère que tous les groupes environnementaux et les citoyens vont appuyer cette démarche. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Tommy Montpetit, directeur de la conservation à l’organisme Ciel et Terre, à Longueuil

Le document précise que « les milieux naturels [à l’échelle de la CMM] se fragmentent peu à peu et sont voués à la disparition si rien n’est fait pour les protéger ». Depuis 2012, l’objectif fixé par le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) est de protéger 17 % du territoire d’ici 2031. Or, la CMM stagne à 10,1 % depuis des années.

Une étude récente de Statistique Canada a d’ailleurs révélé que la majorité des grandes villes canadiennes, dont Montréal, avaient perdu des espaces verts entre 2001 et 2019 au profit de l’urbanisation. Or, selon les modélisations du consortium Ouranos, spécialisé dans l’étude des changements climatiques, les températures moyennes dans les villes de la CMM pourraient grimper de près de 6 °C d’ici la fin du siècle.

IMAGE TIRÉE DU RAPPORT DE LA CMM

Milieux terrestres d’intérêt métropolitain selon la première version du projet de règlement, datée du 9 février

Prise de conscience au municipal

Au niveau municipal, de plus en plus d’élus prennent conscience de l’importance de protéger les milieux naturels pour mieux affronter les changements climatiques. Le discours a changé chez les élus, confirment plusieurs intervenants contactés par La Presse.

L’enjeu est important pour les 82 municipalités du Grand Montréal, où l’on retrouve la moitié de la population du Québec. Selon les prévisions démographiques, 530 000 personnes vont s’ajouter d’ici la fin de la décennie, particulièrement dans les banlieues nord et sud, où l’on retrouve la majorité des milieux naturels sur le territoire de la CMM.

Urbanisation du territoire de la CMM de 1984 à 2020
  • Le territoire de la CMM en 1984

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE GOOGLE EARTH

    Le territoire de la CMM en 1984

  • Le territoire de la CMM en 1993

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE GOOGLE EARTH

    Le territoire de la CMM en 1993

  • Le territoire de la CMM en 2001

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE GOOGLE EARTH

    Le territoire de la CMM en 2001

  • Le territoire de la CMM en 2020

    CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE GOOGLE EARTH

    Le territoire de la CMM en 2020

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

« Depuis le PMAD, en 2012, on a stagné jusqu’en 2022 avec 10 % de territoire protégé. La planète brûle. Il faut bouger. Ça prend un geste fort dans un moment d’urgence. C’est la fin de la récréation », a indiqué une source à la CMM, qui n’était pas autorisée à parler publiquement du dossier.

Selon cette source, le contexte est favorable à l’adoption d’un tel règlement. De nouveaux maires et mairesses plus sensibles aux enjeux environnementaux ont été élus en novembre dernier. C’est le cas de Catherine Fournier à Longueuil, et de Stéphane Boyer à Laval, mais d'autres aussi dans bon nombre de municipalités de la CMM.

« Nous voyons ça très positivement », affirme l’attaché de presse de la mairesse de Longueuil, Louis-Philip Prévost.

Nous sommes d’accord avec la vision globale, d’autant plus que c’est au cœur des préoccupations de nos citoyens. Les gens nous parlent principalement de logement et d’environnement.

Louis-Philip Prévost, attaché de presse de la mairesse de Longueuil

De son côté, le nouveau maire de La Prairie, Frédéric Galantai, dit avoir bon espoir de voir les élus adopter le nouveau règlement. « La CMM fait preuve de flexibilité, ça apaise les inquiétudes que pourraient avoir certains élus. »

Le cabinet de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a indiqué ne pas vouloir commenter le dossier. Rien n’indiquerait cependant que la métropole s’opposerait au projet.

Vote à la fin d’avril

Une première version du projet de règlement de contrôle intérimaire a été présentée aux élus au début du mois de février. Ceux-ci ont demandé un délai supplémentaire de 30 jours pour l’étudier et proposer des modifications. Une deuxième version datée du 15 mars 2022 est présentement sur la table.

Un vote est prévu au conseil de la CMM lors de sa prochaine réunion, le 28 avril. S’il est adopté, le projet de règlement sera soumis au gouvernement du Québec, qui aura 60 jours pour décider s’il approuve ou non la recommandation des élus.

« Il y a une bonne réaction au gouvernement. Le timing est bon. Ça rejoint des préoccupations communes », précise notre source qui connaît bien le dossier. Avec les élections provinciales, à l’automne, le gouvernement de François Legault prêterait aussi une oreille plus attentive aux demandes des élus de la CMM, dont plusieurs dirigent des villes de banlieue, indique-t-on.

S’il est adopté, le projet de règlement de contrôle intérimaire sera en vigueur tant que la CMM n’aura pas adopté un nouveau PMAD. Un exercice de révision est déjà en cours.

Perturbation et destruction

Depuis plusieurs années, on assiste à la perturbation et à la destruction de milieux naturels, tant en milieu urbain qu’en milieu agricole et [on remarque] que les pressions à l’urbanisation menacent l’équilibre des écosystèmes, le maintien de leur diversité biologique et la survie des espèces fauniques et floristiques qui en dépendent.

Extrait du projet de règlement 2022-96 concernant les milieux naturels à la CMM

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Rainette faux-grillon de l’Ouest

Une petite grenouille sonne l’alarme

C’est un rapport dévoilé en février dernier qui a sonné l’alarme à la CMM. Le document de 70 pages dresse un bilan catastrophique au sujet de huit espèces en situation précaire sur le territoire du Grand Montréal. Le niveau des menaces sur ces espèces et leurs habitats est jugé « très élevé ». Sans surprise, la rainette faux-grillon de l’Ouest figure en tête de liste. Cette minuscule grenouille qui mesure moins de 3 cm a déjà fait l’objet de deux décrets d’urgence au cours des cinq dernières années dans le Grand Montréal. Un premier décret a été annoncé en 2016 afin de protéger l’habitat de la rainette à La Prairie, menacé par un projet immobilier. Un deuxième décret est entré en vigueur l’an dernier, à Longueuil. Le gouvernement fédéral est intervenu pour stopper le prolongement d’un boulevard qui empiétait sur des milieux humides abritant cette espèce.

Consultez le rapport de la CMM
En savoir plus
  • 6,5 %
    Niveau de connectivité entre les milieux naturels dans le Grand Montréal, en 2010, comparativement à 45 % en 1966
    Source : RAPPORT SUR L’ÉTAT DE SITUATION DE HUIT ESPÈCES EN SITUATION PRÉCAIRE SUR LE TERRITOIRE DU GRAND MONTRÉAL