Une série de poursuites judiciaires vise à contrecarrer les plans de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui peine à atteindre ses objectifs de protection des milieux naturels pour faire face à l’urgence climatique et au déclin de la biodiversité.

Un retard à combler

La CMM a adopté deux règlements de contrôle intérimaire (RCI), dont l’objectif est d’accroître la proportion de milieux naturels sur son territoire. L’objectif fixé au Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) est de protéger 17 % du territoire d’ici 2031. Or, la CMM stagne à 10,1 % depuis des années.

Le retard à combler est important, d’autant plus que les experts recommandent dorénavant une cible de 30 % d’ici 2030. Un premier RCI a donc été adopté à l’unanimité en avril dernier. Celui-ci interdit toute construction dans les bois et les milieux humides d’intérêt, sur tout le territoire de la CMM. Du coup, la proportion de territoires protégés est passée à 22,3 %. Le règlement a été approuvé par le gouvernement du Québec, tout comme un autre RCI qui vise à protéger six anciens golfs présentant un potentiel de reconversion en espace vert, adopté en juin dernier.

Déjà 11 contestations

Selon une compilation réalisée par La Presse, 11 recours juridiques ont déjà été déposés à la Cour supérieure du Québec contre les deux règlements. C’est le sénateur et promoteur immobilier Paul Massicotte qui a ouvert le bal en voulant faire déclarer « illégal » le RCI sur les milieux naturels dans une requête déposée le 18 mai. Deux de ses entreprises, Sommet Prestige Canada et Propriétés Sommet Prestige, possèdent un terrain à Saint-Bruno-de-Montarville, sur la Rive-Sud, dans un secteur appelé le boisé des Hirondelles. Une « large partie » du terrain a été intégrée à la liste des milieux naturels d’intérêt prévue au nouveau règlement de la CMM. Plusieurs autres poursuites ont été enregistrées en juin et en juillet contre les deux règlements, parfois avant même qu’ils ne soient officiellement en vigueur.

Un règlement illégal ?

Le 11 juillet dernier, le Club de golf Domaine Champêtre, à Sainte-Anne-des-Plaines, a déposé une demande de pourvoi en contrôle judiciaire afin de faire déclarer « illégal » le RCI sur les milieux naturels. L’entreprise, propriété de Martin Lamarre, exploite un club de golf semi-privé en plus d’être propriétaire de terrains jouxtant le golf, destinés au lotissement résidentiel. Le terrain de golf et les terrains avoisinants ont été intégrés aux milieux naturels d’intérêt de la CMM.

La requête soumise par les avocats de M. Lamarre soutient notamment que « la désignation du golf en tant que milieu naturel d’intérêt est erronée, injustifiable et déraisonnable puisqu’il est un golf en activité et non un milieu naturel d’intérêt métropolitain ». Le document avance également que « l’objectif véritable est plutôt de geler tout développement le temps que la Loi sur l’expropriation soit modifiée afin de permettre aux municipalités d’acquérir les terrains visés à coûts moins élevés ».

« Faire avancer le dossier »

En entrevue à La Presse, Martin Lamarre indique qu’il ne reste « qu’une petite partie de terrains » à lotir. Il ajoute qu’il n’est pas un promoteur immobilier et que sa priorité demeure l’exploitation du golf, dont il a fait l’acquisition en 2020 avec d’autres partenaires.

Quant au recours devant la Cour supérieure, M. Lamarre souligne que ses avocats l’ont mis en garde à propos du nouveau règlement. « Ça pourrait m’empêcher d’exploiter mon terrain de golf. C’est le processus qui nous a été présenté comme le seul à suivre. Semble-t-il que c’est la seule façon de faire avancer le dossier », ajoute-t-il.

L’avocat de M. Lamarre, MNikolas Blanchette, a refusé de faire des commentaires, « compte tenu du processus judiciaire et par respect pour l’autorité des tribunaux ». La CMM refuse aussi de commenter le dossier, mais sa porte-parole, Julie Brunet, précise que le secteur en question est inclus dans les bois et corridors forestiers désignés dans le PMAD depuis 2012. La construction résidentielle dans le secteur du golf est aussi interdite par le schéma d’aménagement de la MRC.

Les villes condamnées à payer trop cher ?

« L’enjeu véritable ici, c’est que nous sommes dans une urgence climatique et une crise de la biodiversité », soutient l’avocat Jean-François Girard, qui est également biologiste. Il précise que les villes ont essentiellement accès à deux outils pour protéger des parties de leurs territoires : la voie réglementaire ou l’acquisition de terrains, de gré à gré ou par expropriation.

Or, sans une refonte de la Loi sur l’expropriation, les villes sont condamnées à payer des sommes qui sont trois plus élevées que la valeur marchande du terrain, affirme celui qui se spécialise en droit de l’environnement auprès des municipalités. « Et quand elles adoptent des règlements, ceux-ci sont contestés par les promoteurs. Dans les deux cas, ça finit par coûter très cher aux contribuables. Dans ce contexte, les villes agissent de façon responsable », conclut MGirard.

En savoir plus
  • 284 hectares
    Les six terrains de golf protégés par le nouveau règlement totalisent une superficie de 284 hectares. Selon la CMM, ils sont tous situés dans des secteurs « où l’espace disponible est suffisant pour accueillir la croissance démographique d’ici 2041 ».
    CMM
    6,5 %
    Niveau de connectivité entre les milieux naturels dans le Grand Montréal, en 2010, comparativement à 45 % en 1966.
    SOURCE : RAPPORT SUR L’ÉTAT DE SITUATION DE HUIT ESPÈCES EN SITUATION PRÉCAIRE SUR LE TERRITOIRE DU GRAND MONTRÉAL