Le Canadien National (CN) a détruit sans autorisation un milieu humide à Longueuil, qui abritait l’un des derniers habitats de la rainette faux-grillon, espèce menacée au Canada et vulnérable au Québec. Un geste qui a valu à l’entreprise un avis de non-conformité du ministère québécois de l’Environnement. La Société pour la nature et les parcs (SNAP) demande une enquête afin de déterminer si l’entreprise a aussi commis une infraction à la Loi sur les espèces en péril.

Le 11 avril dernier, Tommy Montpetit et son équipe avaient rendez-vous au marais Darveau, à Longueuil, pour y réaliser un inventaire de la rainette faux-grillon. La technique consiste à écouter la petite grenouille chanter au moment de la période de reproduction au printemps. Plus elles sont nombreuses, plus la cote de chant attribuée au milieu visité sera élevée.

Mais cette journée-là, aucune rainette ne chantait au marais Darveau. Pour la simple et bonne raison qu’une partie de ses milieux humides avait été remblayée. Tommy Montpetit, qui est directeur de la conservation à l’organisme Ciel et Terre, a immédiatement prévenu la Ville de Longueuil, qui a ensuite averti le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) du Québec.

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Le marais Darveau, à Longueuil

Selon M. Montpetit, le milieu remblayé est précisément celui où l’on retrouvait un habitat de rainettes. Sa destruction aurait aussi modifié l’hydrologie du secteur et affecté le milieu humide voisin où le batracien était aussi présent.

Le CN « pas au fait »

Le marais Darveau, qui est constitué de plusieurs milieux humides connectés, se trouve sur des terrains appartenant à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en bordure de la route 116 à Longueuil. Le CN a confirmé à La Presse être l’auteur des travaux de remblayage sans préciser à quel moment l’infraction a été commise. L’entreprise indique avoir reçu un avis de non-conformité le 11 novembre dernier de la part du MELCC.

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Le marais Darveau se trouve sur des terrains appartenant à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en bordure de la route 116 à Longueuil.

Selon une source bien au fait du dossier, le remblayage du milieu humide d’environ 1 hectare a été réalisé en août dernier. Le CN se cherchait un espace pour y entreposer des matériaux, une information qui n’a pas été confirmée par l’entreprise, qui a transmis une courte déclaration par courriel en réponse aux questions de La Presse.

Le CN affirme qu’il « n’était pas au fait que ce milieu humide pourrait être désigné comme habitat d’espèce vulnérable ». Or, le marais Darveau est identifié au programme fédéral de rétablissement de l’espèce depuis 2015. Et depuis 2003, des bénévoles s’y rendent chaque année pour les inventaires printaniers de la rainette faux-grillon.

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Deux camionnettes du CN sont apparues moins d’une dizaine de minutes après l’arrivée de La Presse sur les lieux de remblayage d’un milieu humide à Longueuil.

Milieux humides déjà identifiés

La zone remblayée se trouve à environ trois kilomètres du secteur du boulevard Béliveau où le gouvernement fédéral a adopté un décret d’urgence le 21 novembre dernier pour stopper les travaux et y protéger l’habitat de la rainette. Là aussi, des milieux humides avaient été détruits, pour prolonger le boulevard. Les travaux menés par la Ville de Longueuil avaient été autorisés par le gouvernement du Québec.

Les milieux humides du marais Darveau sont clairement identifiés dans les cartes de Canards illimités, la référence en la matière au Canada. Ils se trouvent également au schéma d’aménagement de la Ville de Longueuil.

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La rainette faux-grillon

Ironiquement, le milieu qui a été remblayé figure aussi dans le projet de règlement de contrôle intérimaire que doit adopter la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) jeudi. Le comité exécutif a d’ailleurs résolu à l’unanimité de recommander l’adoption de ce règlement destiné à protéger les milieux naturels d’intérêt sur le territoire de la CMM.

Précisons qu’il ne reste plus que sept populations de rainettes encore viables au Québec, dont trois se trouvent dans l’agglomération de Longueuil.

« Le CN n’a visiblement pas fait preuve de diligence raisonnable dans ce dossier alors que la présence de l’espèce et de son habitat essentiel était bien documentée, et ce, dans les deux langues officielles du pays », a affirmé Alain Branchaud, directeur général de la SNAP Québec. « Nous demandons au ministre fédéral de l’Environnement de déclencher une enquête transparente et de déterminer si une infraction aux interdictions générales de la Loi sur les espèces en péril a été commise. »

Tommy Montpetit, lui, espère que le site sera remis en état rapidement. « Des milieux humides ont été remblayés illégalement il y a deux ans, près de la rue du R-100 [à Longueuil], et rien n’a été corrigé encore. »

On dirait que nos gouvernements ont de la misère à comprendre que lorsque tu fais un trou dans un seau rempli d’eau, c’est tout le seau qui finit par se vider. C’est la même chose avec les milieux humides. Chaque année, on en perd des bouts dans l’indifférence générale.

Tommy Montpetit, directeur de la conservation pour l’organisme Ciel et Terre

Le CN dit vouloir « établir un plan de restauration avec échéancier de travaux, qui sera partagé avec les ministères concernés afin de mettre en place les correctifs jugés nécessaires, visant notamment le rétablissement du site ».

Mais selon la SNAP, il est évident qu’Ottawa devra intervenir de nouveau. En août 2021, l’organisation avait d’ailleurs demandé au gouvernement fédéral d’adopter un décret pour protéger l’habitat essentiel de la rainette faux-grillon sur tout le territoire de la Ville de Longueuil et non seulement pour le secteur du boulevard Béliveau.

En savoir plus
  • 25 %
    Selon un rapport du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) datant du printemps 2021, moins du quart des populations de rainettes faux-grillon qui subsistent à ce jour « seraient capables de se maintenir à moyen terme si les conditions demeuraient telles quelles ».
    Source : ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec
    90 %
    Au cours des 60 dernières années, la rainette faux-grillon a perdu 90 % de son aire de répartition au Québec, un déclin semblable à celui des milieux humides, dont 70 % ont été détruits ou endommagés depuis plus de 50 ans.
    Sources : MFFP et Canards illimités