La Fonderie Horne, l’Aluminerie Alouette, ArcelorMittal ; les grands pollueurs du Québec verront bondir les tarifs qu’ils paient pour compenser leurs impacts environnementaux.

Le gouvernement Legault augmentera considérablement les droits que les entreprises rejetant des contaminants dans l’air et dans l’eau doivent payer, annoncera mardi le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette.

Ces droits, qui concernent les quelque 85 entreprises qui disposent d’une autorisation ministérielle pour mener leurs activités, sont pratiquement les mêmes depuis leur instauration il y a 30 ans.

Leur augmentation passera par la modification du Règlement relatif à l’exploitation d’établissements industriels (RREEI), dans le cadre d’un vaste chantier omnibus de modifications réglementaires qui fait présentement l’objet d’une consultation publique.

L’augmentation sera double : d’abord, le « taux de base » pour les rejets de contaminants visés par ce règlement passera de 2,20 à 9,08 $ la tonne, selon la volonté du gouvernement, un montant qui sera indexé annuellement.

Le montant obtenu est multiplié par un « facteur de pondération », qui varie selon les contaminants et qui sera lui aussi augmenté. Il passerait progressivement d’ici 2026 de 200 à 100 000 pour les émissions d’arsenic et de cadmium, pour lesquels une exposition prolongée présente un risque élevé pour la santé, deux contaminants que rejette la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda.

C’est donc dire que l’émission d’une seule tonne d’arsenic coûtera à l’avenir 908 000 $.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Installations de la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda

C’est d’ailleurs la polémique entourant la Fonderie Horne qui a « vraiment fait réfléchir » le gouvernement sur la question, a déclaré à La Presse le ministre Benoit Charette.

C’est là qu’on s’est aperçu, de mon côté à tout le moins, qu’il n’y avait pas eu de mise à jour [des droits] depuis 30 ans, essentiellement.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement

La facture annuelle de la Fonderie Horne, propriété de la multinationale anglo-suisse Glencore, passerait ainsi de quelque 220 000 $ à 2 millions, soit le plafond fixé dans le projet de modification réglementaire.

Celles de l’Aluminerie Alouette de Sept-Îles et de l’usine de bouletage d’ArcelorMittal de Port-Cartier augmenteraient de 700 000 $ et 500 000 $ respectivement.

Revenus réinvestis

Les droits versés par les entreprises totalisent actuellement quelque 6 millions – qui vont dans le Fonds de protection de l’environnement et du domaine hydrique de l’État –, une somme que le ministre Charette juge « clairement insuffisante ».

L’augmentation des droits générera plus de 10 millions de dollars supplémentaires annuellement, qui seront réinvestis dans l’amélioration de la « performance environnementale de l’industrie » et la protection de la qualité de l’air et de l’eau.

Si ça peut engendrer ou favoriser des changements de comportements et une prise de conscience chez les entreprises elles-mêmes, c’est bien tant mieux. Si ça peut faire en sorte que certains de leurs procédés soient modernisés pour limiter les émissions, on sera tous gagnants.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement

Le gouvernement Legault y voit aussi une façon de soutenir le développement de petites et moyennes entreprises « vertes et innovantes ».

Le gouvernement veut envoyer le message qu’« il y a un prix à la pollution », affirme le ministre Charette, mais ce prix pourrait être mal reçu par les entreprises concernées.

« Il y a une obligation de faire les choses différemment [après] 30 ans sans qu’il y ait réellement eu d’indexation », répond le ministre, qui estime avoir de « bons arguments » pour défendre sa décision.

Cette modification est la première étape d’une révision plus vaste « de l’ensemble des paramètres de tarification des rejets industriels » que Québec entend faire à plus long terme, en ajoutant par exemple d’autres contaminants à la liste de ceux visés par la réglementation en vigueur.

Benoit Charette entend aussi ajouter « une plus grande transparence » dans le processus, pour que les entreprises qui rejettent des contaminants dans l’environnement soient connues du public, tout comme les droits qu’elles paient, à l’image de la réforme du régime de redevances sur le prélèvement d’eau qu’il pilote.

Servir les pollués, pas les pollueurs

La volonté du gouvernement est bien accueillie dans le milieu écologiste, mais l’attribution des fonds suscite la méfiance.

« On ne doit pas utiliser cet argent-là pour aider les entreprises à se mettre à niveau, elles font des milliards de profits », a réagi Rébecca Pétrin, directrice générale d’Eau Secours.

« Ce serait une façon de leur soutirer de l’argent pour le leur remettre ensuite pour favoriser leur recherche et développement », déplore-t-elle.

Rébecca Pétrin estime que les fonds recueillis devraient plutôt servir à dédommager ceux qui subissent la pollution.

Les municipalités, qui doivent traiter l’eau que les entreprises polluent avant de la distribuer à leur population, devraient bénéficier de cet argent, illustre Mme Pétrin.

« Il faut que les pollueurs assument les coûts des dommages qu’ils causent », estime lui aussi l’ingénieur en traitement des eaux Alain Saladzius, président de la Fondation Rivières.

« Il faut que ça aille à la restauration aussi, pas juste au développement de nouvelles technologies », dit-il, appelant à une gestion des fonds « en toute transparence ».

Le montant des droits doit être suffisamment important pour forcer les entreprises à réduire leurs rejets de contaminants, souligne André Bélisle, président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique.

« Deux millions, pour Glencore, ce n’est même pas de la petite monnaie », illustre-t-il.

« Idéalement, ce qu’on voudrait, c’est la mise à niveau des installations pour ne plus qu’il y ait de rejets de contaminants dans l’environnement, ajoute Rébecca Pétrin. C’est ce que dit la Loi sur la qualité de l’environnement. »