De plus en plus réticentes à jeter les tonnes de résidus, de retailles et d’autres surplus générées par leur production, les entreprises cherchent des débouchés. Mais comment trouver preneur pour ces matières ? Les conseillers en économie circulaire jouent les entremetteurs et les facilitateurs.

(Bécancour) « Nous, ce qu’on cherche, c’est un concentré de saveur de bière pour développer un cheddar et, éventuellement, une raclette et une sauce à poutine », explique Yan Jodoin, directeur des opérations chez Fromagerie Victoria.

« S’il y a un fromage avec notre bière, on sera fier. C’est une entreprise locale, ça peut faire un beau partenariat : on unirait nos forces pour en faire le marketing, c’est toujours gagnant pour les deux entreprises », acquiesce Émile Sauvé, brasseur et directeur d’Ô quai des brasseurs, à Bécancour.

Derrière eux se profilent d’immenses cuves dont le contenu sera transféré en fûts et en canettes. Mais il reste toujours des contenants incomplets, dont la bière est bonne à boire, mais impossible à vendre au détail. En donner aux employés ne suffit pas à tout écouler, il faut parfois en jeter. « Ça me fait mal au cœur », déplore le brasseur.

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Émile Sauvé, brasseur et directeur, Ô quai des brasseurs, échange avec Bill Castle et Yan Jodoin de la Fromagerie Victoria.

Speed-dating de développement durable

MM. Sauvé et Jodoin se sont rencontrés à la fin de novembre dans un atelier organisé par la Corporation du développement durable (CDD) pour le secteur agroalimentaire du Centre-du-Québec, une activité aux allures de speed dating, où les entrepreneurs annonçaient de quoi ils étaient preneurs et demandeurs.

PHOTO FOURNIE PAR LA CORPORATION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE (CDD)

L’atelier de maillage organisé par la Corporation du développement durable (CDD) pour le secteur agroalimentaire du Centre-du-Québec, en novembre dernier

Pour que Fromagerie Victoria puisse utiliser des surplus de bière, il faut trouver un moyen d’en faire une réduction.

« On aimerait avoir un ingrédient facile à travailler », résume M. Jodoin. Des équipements de l’usine pourraient peut-être permettre « que le produit soit bon sans que ça rajoute une journée de production », suggère le brasseur.

David Verville et Myriam Pilon, conseillers en économie circulaire à la CDD, les écoutent attentivement. Leur rôle est notamment de « faire sortir l’information, explorer où ça pourrait coincer », explique M. Verville.

Ils nous disent : “On est intéressés, mais il ne faut pas que ça nous demande beaucoup plus de temps et d’efforts.” Comment va-t-on créer les conditions pour ce faire ?

David Verville, conseiller en économie circulaire à la CDD

Si aucun des partenaires n’a la technologie requise, « on peut voir dans notre réseau quel centre de recherche pourrait la développer ou le faire en sous-traitance », illustre Mme Pilon.

Récupérer des citrons déjà pressés

L’atelier qu’ils ont animé en novembre a ciblé plus de 90 maillages potentiels entre 34 entreprises. Fromagerie Victoria, par exemple, était aussi offreur de lactosérum (liquide restant après la fabrication du fromage) et de transport (dans ses camions qui rentrent à vide après les livraisons dans les restaurants de la chaîne). M. Sauvé, à l’inverse, était en quête de fruits pour une distillerie dont il est également copropriétaire. Il a rencontré un producteur de sauce piri-piri qui offrait des citrons déjà pressés. « Il a enlevé le jus, mais il reste encore plein de pulpe et de saveur », s’enthousiasme-t-il. Le brasseur a aussi eu beaucoup de demandes pour sa drêche (résidu de céréales après brassage).

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Fûts de bière à l’usine d’Ô quai des brasseurs

« Les entreprises viennent plus souvent me voir en disant : “Je veux faire quelque chose de significatif, quelque chose pour la planète” », témoigne M. Verville, qui travaille en économie circulaire depuis 10 ans.

C’est aussi ce qui a attiré Mme Pilon, après 15 ans en immobilier commercial.

J’ai eu envie d’un endroit qui rejoignait davantage mes valeurs. Parler aux entreprises avec la notion de rentabilité, pour que ça puisse à la fois les toucher et réduire leur empreinte environnementale, ça avait plein de sens.

Myriam Pilon, conseillère en économie circulaire à la CDD

Les courtiers doivent travailler avec toutes sortes de résidus. L’an dernier, c’est sfr, une agence de marketing de Sainte-Perpétue, qui cherchait des retailles pour ses produits faits à partir de matières recyclées. Ils en ont trouvé à Plessisville, chez Boisdaction, une ébénisterie qui avait des restes de Corian, un matériau destiné à la fabrication de comptoirs. Utiliser ces retailles plutôt qu’une matière vierge a déjà détourné 600 kg de résidus de l’enfouissement, évité l’émission de 524 kg d’équivalent dioxyde de carbone (éq. CO2), et fait économiser plus de 7000 $, a calculé la CDD.

Neuf synergies réalisées

En tout, neuf synergies ont été réalisées dans la dernière année et demie grâce à la CDD, un organisme à but non lucratif (OBNL) financé par Recyc-Québec et des partenaires régionaux. Les entreprises impliquées ont économisé 42 000 $ et évité l’émission de 14 000 kg d’équivalent dioxyde de carbone. Et la CDD n’est que l’un des 23 organismes régionaux membres de la communauté Synergie Québec, créée par le Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI).

« Les entreprises ne veulent plus gaspiller, ça leur fait mal au cœur. J’en ai vu qui gardaient des cartons des mois dans leur entrepôt », raconte Jennifer Pinna, conseillère en économie circulaire au CTTEI.

« Elles vont faire l’effort supplémentaire pour trouver des solutions innovantes afin de ne pas jeter, alors qu’avant, c’était juste : “Mets ça au chemin dans un conteneur !” »

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En savoir plus
  • 14 000 tonnes
    Volume de matières détournées de l’élimination grâce à 420 synergies entre des entreprises québécoises. Elles ont ainsi évité d’émettre 12 000 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone et économisé 4,5 millions de dollars.
    Source : Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI), 2016 à 2019.