La question des pénuries d’enseignants frappe de plein fouet l’école publique, mais malgré ses atouts pour attirer des profs, l’école privée n’est pas épargnée. Là aussi, les listes de rappel sont à sec et du personnel non légalement qualifié est régulièrement appelé en renfort.

L’enjeu des pénuries et de leurs conséquences a été au cœur des dernières négociations du secteur public, comme il en est largement question à chaque rentrée scolaire.

Dans les écoles privées, cette question ne se pose pas en août, mais en cours d’année scolaire, au gré des congés de maladie, de paternité ou de maternité, explique David Bowles, président de la Fédération des établissements d’enseignement privés, et directeur général du collège Charles-Lemoyne, sur la Rive-Sud de Montréal.

Contrairement au secteur public, où l’offre de postes aux enseignants se fait à la fin de l’été et autour de la rentrée (ce qui a mis sur la sellette le gouvernement Legault), dans les écoles privées, les efforts de recrutement se concentrent au printemps, si bien qu’à la rentrée, sauf de rares exceptions, « on réussit à avoir tout notre personnel », relève M. Bowles. Par contre, dès lors qu’il s’agit de congés ponctuels, « c’est très dur », dit M. Bowles.

Par exemple, une quarantaine de postes à pourvoir sont affichés ces jours-ci sur le site de la Fédération des établissements d’enseignement privés, les deux tiers étant pour des enseignants.

Au collège Charles-Lemoyne, illustre M. Bowles, « on essaie de trouver des étudiants en éducation, on fait appel aux retraités du collège, on demande parfois aux parents s’ils connaissent quelqu’un dans leur réseau ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le président de la Fédération des établissements d’enseignement privés du Québec et directeur général du collège Charles-Lemoyne, David Bowles

Les parents qui paient de grosses sommes pour envoyer leur enfant à l’école privée doivent faire fortement pression quand une école privée peine à remplacer l’enseignant, soumet-on. Argent ou pas, M. Bowles note que de façon générale, « les parents sont très impliqués. Quand il manque un enseignant de français ou de mathématiques, on en entend parler ».

Tout n’y est pas idyllique

Fait méconnu, la CSN représente une quarantaine d’établissements d’enseignement privés. Léandre Lapointe, responsable du regroupement de l’enseignement privé à la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ), brosse le même portrait : des débuts d’année avec des équipes complètes, mais des remplacements ponctuels qui donnent des maux de tête.

Ça peut prendre trois ou quatre semaines pour trouver quelqu’un pour un remplacement. Au cours des trois dernières années, le problème s’est amplifié.

Léandre Lapointe, responsable du regroupement de l’enseignement privé à la FNEEQ

Faute de trouver des enseignants qualifiés, les directions embaucheront, par exemple, une personne avec un baccalauréat en histoire, mais qui n’a pas étudié du tout en pédagogie, ajoute-t-il.

Oui, les écoles privées représentent souvent « de petits milieux très collégiaux » qui ont leur attrait, qui admettent souvent de bons élèves, relève M. Lapointe, mais tout n’y est pas idyllique non plus. « Ça reste des ados, qui sont comme tous les ados et les bons élèves peuvent être touchés par l’anxiété de performance. »

M. Lapointe rappelle aussi qu’au début de la pandémie, alors qu’il a fallu plusieurs semaines à l’école publique pour offrir les cours à distance, les enseignants de nombreux collèges « ont dû mettre cela en branle en quelques jours ».

L’enjeu des congés de paternité

Contrairement à l’image qu’on s’en fait souvent, bon nombre d’écoles privées sont très grosses. Située à Montréal, le collège Regina Assumpta, par exemple, compte 2250 élèves et 108 enseignants.

Sa directrice générale, Julie Duchesne, explique qu’« il faut travailler plus fort qu’avant » pour les remplacements de courte durée.

On a de plus en plus de demandes de congés de paternité. C’est très bien que les pères prennent ces congés. Mais c’est très difficile de trouver des personnes intéressées à faire un remplacement de cinq semaines.

Julie Duchesne, directrice générale du collège Regina Assumpta

« On s’assure de réserver nos stagiaires » quand il s’agit de tels congés prévisibles, ajoute Mme Duchesne.

Patrick Lupien, enseignant et président du Syndicat des enseignantes et des enseignants du collège Regina Assumpta, souligne lui aussi que les congés courts attirent peu de candidats, surtout quand ces remplacements – de maladie ou de paternité – surviennent en cours d’année et courent sur deux années scolaires.

M. Lupien fait observer que quand quelqu’un tombe au combat ou s’absente pour cause de maternité ou de paternité, ça devient l’affaire de toute l’école et pas seulement de la direction. « Le personnel aussi fait alors des recherches dans son réseau parce que quand une personne non légalement qualifiée arrive, c’est plus de travail pour la direction et pour les collègues [appelés à l’aider] », souligne M. Lupien.

Car donner un coup de main à quelqu’un qui n’a jamais enseigné, ça alourdit une tâche déjà lourde. « En 1re secondaire, par exemple, les groupes comptent un maximum de 28 élèves à l’école publique. Au privé, ça peut monter à 36. »