Les syndicats d’enseignants refusent de donner des devoirs aux élèves alors qu’ils seront en grève la semaine prochaine, ce qui n’empêche pas certains profs d’offrir leurs services de tutorat aux parents pour pallier l’absence de revenus.

« Je vais venir travailler pour vous, ça a l’air plus le fun ! »

Cofondatrice du service de tutorat en ligne La 2Classe, Christine-Amélie Roberge dit qu’elle rencontre régulièrement des profs du réseau public qui sont « tannés du réseau, [qui] trouvent ça difficile ».

La pénurie ? Son entreprise, qui emploie une quarantaine d’enseignants dont 15 à temps plein, ne connaît pas ça.

« Je ne manque pas de profs, étonnamment. Il y a beaucoup d’enseignants brevetés, qui ont un poste à l’école, qui décident de prendre une année sabbatique et qui nous font des demandes pour venir travailler », dit Mme Roberge, qui observe que la perspective de voir les écoles fermées inquiète bien des parents.

Alors qu’une grève des enseignants du secteur public se profile la semaine prochaine, certains songent justement à offrir leurs services aux parents qui craignent que leurs enfants ne prennent du retard dans leurs apprentissages.

« Avec l’arrivée du premier bulletin ainsi que de la grève, j’offre mes services de cours privés en histoire de quatrième secondaire (épreuve ministérielle en fin d’année). Avec ma formation en adaptation scolaire, je peux également offrir mes services dans les autres matières », annonce un enseignant de Québec sur Facebook.

Comme d’autres collègues, l’orthopédagogue Sarali Beauséjour entend elle aussi proposer ses services aux parents de sa région, l’Outaouais. Comme son syndicat ne détient pas de fonds de grève, une autre source de revenus sera la bienvenue.

Attention, insiste-t-elle : elle ne va pas offrir du tutorat aux élèves de l’école où elle enseigne, ce qui équivaudrait pour elle à franchir les piquets de grève.

Il y a beaucoup de parents qui demandent aux enseignants de donner des travaux à leurs élèves : on refuse. Par contre, pour le tutorat, on est plusieurs à se faire poser la question.

Sarali Beauséjour, orthopédagogue

La présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE), Josée Scalabrini, dit que « de tout temps, il y a des enseignants qui ont fait de la récupération en dehors du travail avec leur employeur ». « On ne peut pas gérer ça », ajoute-t-elle.

Pas de devoirs aux élèves, insistent les syndicats

Jeudi, son syndicat a opposé une fin de non-recevoir au ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, qui a suggéré aux profs de donner des travaux aux élèves en prévision du déclenchement d’une grève, dans quelques jours.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Bernard Drainville, ministre de l’Éducation

Le Front commun intersyndical observera trois journées de grève les 21, 22 et 23 novembre, tandis que les membres de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) seront en grève générale illimitée à partir du 23 novembre. Des écoles seront donc fermées « pour une durée indéterminée » dès le 21 novembre.

« J’espère que les directions d’école, les centres de services scolaires et les profs vont effectivement donner du matériel aux enfants pour qu’ils puissent un tant soit peu continuer leurs apprentissages », a réagi le ministre Bernard Drainville.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

Le ministre devrait « relire la loi qui concerne une grève légale », dit Josée Scalabrini.

Non, les enseignants n’ont pas à faire encore plus. C’est justement parce qu’ils en font trop qu’on est en négociation.

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

La présidente de la FSE estime que le ministre tente de « culpabiliser » les enseignants.

Situation « ironique »

L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal a réagi tout aussi vivement en qualifiant la situation d’« ironique ».

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Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal

« On est à la veille d’une grève générale illimitée pour améliorer nos conditions parce qu’on trouve notre tâche trop lourde, il y a une désertion de la profession et on a un ministre qui vient en ajouter une couche en nous demandant à la dernière minute de refaire notre planification pour que la grève ait un effet moins important », dit sa présidente, Catherine Beauvais-St-Pierre.

Du côté de la FAE, on estime que si le gouvernement avait mis « tous ses efforts à régler, on n’en serait pas là ». Les 65 000 membres de ce syndicat détiennent un mandat de grève générale illimitée depuis septembre.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement

« On aimerait que le ministre s’occupe de faire débloquer ce qui se passe aux tables de négociation, qu’il revoie des demandes qui ne mèneront pas à une entente satisfaisante, parce qu’il y a beaucoup de choses sur la table qui vont être difficiles à régler d’ici le mois de décembre », dit sa présidente, Mélanie Hubert.

Plus de clients pour les tuteurs privés ?

Si le conflit perdure, les parents se tourneront-ils davantage vers les services de tutorat privés ?

Président de l’entreprise Succès Scolaire, Félix Morin dit que cette période-ci de l’année est toujours occupée, puisque les bulletins sont remis aux élèves. Il ne voit pas d’augmentation marquée du nombre de nouveaux clients pour l’instant.

C’est cette entreprise qui avait créé la célèbre chaîne YouTube « La classe de Marie-Ève », qui avait connu un succès certain auprès des parents durant la pandémie, quand les écoles étaient fermées.

« On avait envisagé de faire des ateliers de groupe, par exemple sur YouTube, mais j’ai estimé que la grève ne durerait pas suffisamment longtemps pour qu’on soit capable de mettre quelque chose en ligne rapidement et que ça ait un impact pour les jeunes », dit M. Morin.

« On sent qu’il y a énormément d’inquiétudes de la part des parents », dit-il néanmoins.

Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, La Presse