Il manquera 8558 enseignants ! Non, ça va, finalement, on a presque tout notre monde ! Comment a-t-on pu passer d’une crise nationale à quelques jours de la rentrée à plus de problème du tout ?

Des « tableaux de bord » en santé partout, des données « probantes » en éducation : le gouvernement Legault a promis que des chiffres, il en pleuvrait.

L’an dernier, le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge a été critiqué parce qu’il disait ne pas avoir de chiffres sur le nombre de profs manquants encore tard en août.

Son successeur, Bernard Drainville – celui qui a avancé le chiffre de 8558 profs manquants cette semaine – s’est assuré de ne pas jouer dans le même film.

« On savait qu’ils nous demanderaient chaque semaine le nombre de postes à pourvoir », raconte Pascal Lamontagne, directeur des ressources humaines au centre de services scolaire de la Beauce-Etchemin.

Comme tous les centres de services scolaires, tel qu’exigé, il a donc transmis ses données en date du 14 août – avec 80 postes réguliers à pourvoir, 375 en tout si l’on inclut les « tâches résiduelles ».

Mais la séance annuelle d’affectation du 21 août – un moment fort du recrutement – n’avait pas encore eu lieu. M. Lamontagne a transmis ses chiffres en sachant pertinemment que le polaroïd qu’il devait obligatoirement transmettre ne voudrait plus rien dire sept jours plus tard.

Et de fait, dans son centre de services scolaire, il ne manque absolument aucun enseignant au primaire et que très peu au secondaire.

Il n’y a pas drame non plus au plus gros centre de services scolaire du Québec. Isabelle Gélinas, présidente du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), a indiqué vendredi qu’il ne lui restait que 78 postes à temps plein à pourvoir.

Un grand classique

D’année en année, c’est donc un classique : tout se boucle à la toute dernière minute.

M. Drainville a-t-il crié au loup trop vite ?

En tout cas, Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, prédit qu’à travers le Québec, il manquera tout au plus quelque cent profs à temps plein, et quelques centaines de postes à temps partiel seront à pourvoir.

Mais bien sûr, comme l’indique Catherine Beauvais St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeurs de Montréal (le syndicat d’enseignants du CSSDM), un seul prof manquant dans une matière dans une école, « ça a un impact important. Ses collègues doivent faire des remplacements d’urgence ».

Dernière minute

Nicolas Prévost estime que les centres de services scolaires ne s’aident pas. Il évoque l’un d’entre eux qui tient sa séance d’affectation à tous les postes encore vacants à trois petites journées de sa rentrée.

Pourquoi ne pas tout régler en juin ? Pascal Lamontagne, de Beauce-Etchemin (qui n’est pas le centre en cause), souligne que l’embauche de profs coûte cher en fonds publics. Les centres de services scolaires tiennent donc les goussets serrés, soucieux d’éviter d’embaucher dès juin un enseignant sans être certains d’en avoir réellement besoin.

Plus l’embauche se fait tôt, plus on prend le risque de mal prévoir le nombre réel d’élèves à la rentrée.

Pascal Lamontagne, directeur des ressources humaines au centre de services scolaire de la Beauce-Etchemin

Il y a 10 ans, poursuit-il, le portrait était tout autre. « Des professeurs repartaient de chez nous en pleurant parce qu’on n’avait pas de postes pour eux. »

Puis, il y a eu quelques années de naissances plus nombreuses au Québec, en un cycle qui s’achève.

« Cette année, nous aurons 300 élèves de plus au secondaire, mais on pense que c’est la dernière année comme ça. »

« Dans cinq ans, chez nous, je m’attends à un surplus de profs. »

En attendant, la glace est fine, fait observer M. Lamontagne. « On est en perpétuelle recherche de candidats, tout au long de l’année. »

Un mode de recrutement à changer

Comme les autres personnes interviewées, Caroline Dupré, présidente-directrice générale de la Fédération des centres de services scolaires du Québec, croit que des ajustements doivent être faits. « En ces années de pénurie, le mode de fonctionnement [du recrutement de profs] n’est plus adéquat. Les choses doivent être simplifiées » et les règles uniformisées d’un centre de services scolaire à l’autre.

Mais il ne faut pas rêver, insiste Brigitte Bilodeau, vice-présidente à la Fédération des syndicats de l’enseignement. Même si le processus commençait plus tôt, ça ne ferait pas apparaître des professeurs miraculeusement.

Elle ajoute aussi qu’il est absolument « incompréhensible » que des enseignants non qualifiés aient été embauchés avant certains enseignants qualifiés, comme l’ont rapporté des médias cette semaine.

Prof cherche prof – ou boulot

Les groupes de discussion d’enseignants ont un petit air de sites de rencontres ces derniers jours.

« Nous sommes à la recherche d’une collègue pour une classe de 2année. Super école […] », écrit une enseignante, ajoutant le nom de la directrice et son numéro de téléphone.

« Je suis sur le bord de la piscine à attendre que le téléphone sonne pour obtenir un contrat, écrit un autre. Je suis qualifié, j’ai obtenu un contrat les deux dernières années, mais cette année, rien. »

Une autre, légalement qualifiée et fraîchement diplômée, se dit à la recherche d’un contrat. « S’il y a des directions qui recherchent encore des enseignants, bien vouloir m’écrire en privé s’il vous plaît. »

Une autre encore écrivait ces derniers jours qu’elle avait donné son nom dans deux centres de services scolaires, mais n’avait aucune nouvelle.

L’histoire ne dit pas combien, dans le lot, sont des perles rares en attente en raison de départements de ressources humaines débordés et combien de candidatures sont plutôt sciemment rejetées par les centres de services scolaires.

Et en ces temps de pénurie, les personnes embauchées n’ont pas toutes les plus hautes compétences comme on l’espérerait, dit M. Prévost.

Au surplus, avec des listes de suppléants presque vides, enchaîne-t-il, tout au long de l’année scolaire, « on est toujours à un téléphone près » du point de bascule.