De futurs juristes vilipendent le nouveau programme qui leur permettra d’exercer leur profession

La nouvelle formation des futurs avocats suscite colère et inquiétude auprès des étudiants de l’École du Barreau.

« C’est le pire établissement que j’ai fréquenté de tout mon parcours scolaire », affirme un étudiant. « Ce n’est pas pédagogique », renchérit une autre.

Avant de pouvoir exercer la profession d’avocat, tout futur juriste du Québec doit suivre une formation offerte par l’École du Barreau. Assortie d’une facture de 7000 $, elle comprend dorénavant une portion théorique, un passage de 15 semaines à la nouvelle Clinique du Barreau, ainsi qu’un stage de six mois.

Seulement 37 % des étudiants ayant testé le nouveau programme l’an dernier ont passé l’examen à leur première tentative. Une fois les reprises comptabilisées, le taux de réussite grimpe à 65 %.

Ces chiffres n’inquiètent pas le directeur de l’École du Barreau, MGuy-François Lamy. Pourtant, le nouveau taux de 65 % est loin de la moyenne de 80 % enregistrée de 2005 à 2022.

On n’a pas de raison de croire que nos taux de réussite seront diamétralement opposés à ce qu’on a connu.

MGuy-François Lamy, directeur de l’École du Barreau

Avant la réforme, les futurs juristes se rendaient en classe du lundi au vendredi. Avec le nouveau programme, ils suivent une formation à distance pendant les 10 premières semaines, avec un accès sporadique à des séances de questions avec des professeurs.

Les places pour assister à ces séances sont limitées, et les questions doivent être envoyées d’avance, ce qui pose problème. « Parfois, on a besoin de réponses assez rapidement, mais il faut attendre un mois avant de poser nos questions », déclare une étudiante qui, comme tous ceux et celles que nous avons contactés, a voulu conserver l’anonymat pour éviter de nuire à sa future carrière en droit.

Cette formation en ligne est loin de faire le bonheur de tous. « Le Barreau n’a aucunement pris en considération que nous étions déjà la “cohorte pandémie”, que certains de nos cours en ligne du bac avaient été très lacunaires, et que certains d’entre nous avons fait une écœurantite aiguë de l’apprentissage solo en ligne », affirme une autre étudiante.

D’autres enjeux ne datent pas d’hier. « Les professeurs répondaient rarement à nos questions », se rappelle une jeune avocate ayant terminé le Barreau avant la réforme.

Je pense que le Barreau est fait pour te faire paniquer un peu. On veut voir si tu es capable de t’organiser et de passer à travers. Tout le monde l’a toujours dit : tout est mis en place pour que tu ne réussisses pas.

Une avocate ayant terminé le Barreau avant la réforme

Dans un message envoyé à La Presse, l’association étudiante de l’École du Barreau de Montréal s’est contentée de mentionner qu’elle allait « traiter les préoccupations des étudiants directement avec la direction » de l’établissement. Après notre demande d’entretien, l’association a convoqué la cohorte actuelle à une rencontre virtuelle d’urgence, qui a eu lieu vendredi dernier. Relancés en début de semaine, les responsables n’ont pas voulu dévoiler la nature de la rencontre.

La direction prône l’« expérientiel »

Si l’École du Barreau a décidé de revoir son programme de fond en comble, c’est qu’après 10 ans sans changement, « le programme arrivait à la fin de sa vie utile », affirme la directrice générale du Barreau, MCatherine Ouimet, en entrevue. « On voulait quelque chose plus près de l’expérientiel », précise-t-elle.

La directrice générale comprend les « enjeux d’anxiété » engendrés par l’instauration du nouveau programme. Selon elle, les inquiétudes des étudiants sont « normales ».

« L’ensemble du matériel de l’École du Barreau est à jour et fait l’objet d’une révision annuelle. Aucun matériel n’est désuet », assure-t-elle en réponse à d’autres commentaires d’étudiants.

Pour ce qui est des reprises, le directeur de l’École du Barreau, Me Lamy, reconnaît qu’échouer au premier essai n’est pas « agréable », mais affirme que « ne pas réussir du premier coup n’est pas un échec ». Reprendre un examen engendre cependant des délais supplémentaires et, surtout, des frais de 379 $ pour chaque étudiant.

À propos du manque d’encadrement, le Barreau n’aurait pas pris « un virage d’autoformation », insiste MLamy. « Les connaissances juridiques sont acquises à l’université. Ce n’est pas notre mandat et ça ne l’a jamais été de donner des cours de droit. »

L’objectif de développer l’autonomie des étudiants laisse un goût amer en bouche à certains d’entre eux. « Ce n’est pas une école, témoigne une étudiante. On paye 7000 $, mais il n’y a pas de cours, il n’y a pas de profs et il y a des examens donnés selon les pires modes d’apprentissage. »

Une clinique qui ne fait pas l’unanimité

La formation des futurs avocats comprend dorénavant un passage de 15 semaines à la nouvelle Clinique du Barreau. Mais cette clinique est loin de faire l’unanimité.

« Je suis assez mitigée, affirme une étudiante. C’est bon d’obtenir de l’expérience avec de vrais dossiers. Par contre, l’École est super fière de dire que ça ne coûte rien au client, mais elle ne dit pas que ce sont les étudiants qui financent la clinique. On paye 3000 $ pour y travailler. »

Les citoyens pourront y recevoir des conseils juridiques gratuitement de la part d’étudiants dès l’automne prochain. Une version « projet pilote » avait été lancée en août 2022.

La direction de l’École du Barreau rappelle aux étudiants que « ce n’est pas un stage », mais bien « un programme de formation, comme des cours ».

L’avocate qui a terminé le Barreau avant la réforme aurait aimé faire une partie de sa formation à la Clinique. « Je fais du litige, et je n’étais aucunement préparée à ça. On ne nous avait rien appris sur comment agir et s’exprimer. »

La directrice générale du Barreau réitère que son organisation est « extrêmement fière du nouveau programme ». Selon elle, le Barreau est « toujours en projet pilote pour la prochaine année ».