Un lanceur d’alerte qui a dénoncé au chef de police et au maire de Candiac ce qu’il considère comme des pratiques discriminatoires à l’embauche à la Régie intermunicipale de police de Roussillon affirme être ciblé par une poursuite-bâillon pour le « faire taire ». Le corps policier reproche à cet ex-cadre d’avoir subtilisé des documents confidentiels avant de démissionner.

« La Régie craint que M. [Yves] Lemay dénonce les comportements discriminatoires et irréguliers qu’il a observés lors de son emploi. Ainsi, la Régie tente d’intimider et de faire taire M. Lemay en prétextant des obligations de confidentialité. »

C’est ce que soutient Yves Lemay, ex-chef de division des ressources humaines à la Régie intermunicipale de police de Roussillon dans un document judiciaire déposé cette semaine au palais de justice de Montréal en réponse à une demande d’injonction intentée en avril dernier par le corps policier. C’est cette procédure que M. Lemay qualifie de poursuite-bâillon.

La Régie reproche à Yves Lemay de s’être approprié « illégalement » des documents et de s’être transféré ceux-ci à son adresse personnelle. D’avril à août 2022, Yves Lemay supervisait les relations de travail et le recrutement de personnel à la Régie, qui dessert 115 000 citoyens dans les secteurs de La Prairie, Candiac et Saint-Constant.

Selon la Régie, l’ex-cadre détient de l’information « confidentielle » sur des candidats policiers et la diffuse « illégalement ». Des courriels d’Yves Lemay transmis au maire de Candiac et président du C.A. de la Régie, Normand Dyotte, en feraient la preuve. C’est pourquoi la Régie s’est adressée à la Cour supérieure au printemps pour forcer Yves Lemay à détruire tous ces documents.

Notons que le litige n’a pas encore été étudié par la cour, si bien que les prétentions des parties n’ont pour l’instant pas été prouvées.

Dans sa défense, Yves Lemay se défend bec et ongles de s’être approprié des documents confidentiels et assure avoir « toujours » obtenu l’aval de la Régie. Il explique avoir écrit au maire Normand Dyotte pour l’avertir qu’une candidate policière pourrait poursuivre la Régie pour discrimination à l’embauche.

M. Lemay décide de prévenir le président du [C.A.] de la Régie afin de le sensibiliser à la situation et protéger la Régie contre les comportements de son directeur qui pose des actions discriminatoires.

Extrait de la défense écrite d’Yves Lemay

Il n’a pas été possible d’obtenir une entrevue avec le maire Normand Dyotte. « Nous allons laisser le processus judiciaire suivre son cours », a indiqué une porte-parole de la Ville de Candiac.

Absolution inconditionnelle

Yves Lemay affirme que le chef de police de Roussillon, Michel Guillemette, a discriminé une candidate policière en 2022. Cette femme aurait obtenu une offre d’embauche d’un directeur adjoint de la Régie. Elle n’aurait pas caché avoir été condamnée pour vol dans le passé et avoir obtenu une absolution inconditionnelle.

« Or, à son retour de vacances, M. Guillemette affirme à M. Lemay que la Régie n’embaucherait pas la Candidate puisqu’il ne veut pas d’une “voleuse” dans son organisation », indique le document judiciaire.

Selon le site de l’École nationale de police du Québec, un candidat ayant obtenu une absolution ou une réhabilitation administrative (pardon) peut être admis au programme de formation. Dans une affaire similaire, la Cour suprême a conclu en 2008 que le rejet d’un candidat par la police de Montréal contrevenait à la Charte des droits et libertés de la personne.

Le responsable des ressources humaines informe alors le chef de police qu’il s’agit d’une « décision discriminatoire » et le met en garde que la Régie s’expose à une poursuite, selon la procédure judiciaire.

Yves Lemay allègue que le chef Michel Guillemette lui a confié s’être entretenu avec le directeur de la Régie intermunicipale de Richelieu–Saint-Laurent à ce sujet, et que la Régie voisine avait elle « aussi refusé d’embaucher la Candidate ».

Joint par La Presse, le directeur de la Régie intermunicipale de Richelieu–Saint-Laurent, Marco Carrier, n’a pas souhaité commenter l’affaire. « Je ne sais pas du tout de quoi vous parlez. Je connais très bien M. Guillemette », a-t-il dit.

Yves Lemay allègue qu’à la demande du chef Guillemette, il a informé la candidate que son embauche était annulée. « Très affectée », l’aspirante policière a jugé la décision « illégale » et lui a dit étudier ses options, affirme Yves Lemay. Ainsi, s’il a conservé des documents concernant la candidate, c’est pour éviter qu’ils soient détruits, pour se protéger contre les poursuites et pour informer les autorités de cet « abus de pouvoir ».

Démission

Dans sa défense, Yves Lemay soutient que le chef Michel Guillemette a eu des « comportements discriminatoires » envers d’autres candidats policiers. Ainsi, le chef de police lui a mentionné que certains candidats étaient « trop vieux pour s’asseoir dans une voiture de police », allègue-t-il.

« Afin d’éviter que ses décisions l’exposent à de potentielles poursuites, M. Guillemette annule l’embauche de toute la cohorte. Cette décision aggrave le manque déjà important de policiers sur les équipes de la Régie et exacerbe le problème du temps supplémentaire exigé par ces derniers », peut-on lire dans l’exposé sommaire des moyens de défense.

Ainsi, Yves Lemay soutient avoir démissionné en août 2022 en raison de la « désorganisation » à la Régie et des « comportements répréhensibles » du directeur Michel Guillemette, à qui il reproche son « style de gestion mal avisé ».

Le comportement d’Yves Lemay est toutefois perçu d’une tout autre façon par la Régie. Dans une mise en demeure datée de mars 2023, la Régie reproche à Yves Lemay de se livrer à du « chantage » ou de l’« extorsion » pour obtenir le paiement de vacances. Yves Lemay a déposé un recours aux petites créances à ce sujet.

Par l’entremise de son avocat, MMarc James Tacheji, Yves Lemay n’a pas souhaité commenter l’affaire.

Joint par La Presse, en l’absence du chef Guillemette, le directeur adjoint de la Régie intermunicipale de police de Roussillon, Walter Rifiorati, n’a pas émis de commentaires.

L’avocat représentant la Régie n’a pas souhaité commenter l’affaire.