Québec a versé plus de 30 millions depuis trois ans pour des services destinés aux élèves doués, mais ne sait combien de classes ont été ouvertes avec ces sommes, ni ce qui en a été fait concrètement. Qui plus est, le gouvernement juge qu’il n’existe pas « de consensus » sur une définition de la douance.

Ce qu’il faut savoir

Le gouvernement verse depuis 2020 des millions destinés aux élèves doués, sans savoir concrètement ce qui a pu être réalisé avec cet argent.

De manière générale, on explique qu’il permet notamment « le mentorat, l’élaboration de projets éducatifs personnels et la diversification des regroupements d’élèves doués ».

La douance touche entre 2 et 5 % de la population.

En mars 2020, le budget provincial comportait pour la toute première fois une mesure destinée à ces élèves.

Le ministre de l’Éducation estimait alors qu’au même titre que les enfants en difficulté, les élèves doués « ont des besoins particuliers et ont le droit de recevoir des services différents ».

« On ouvre cette porte-là cette année », ajoutait Jean-François Roberge, sans toutefois chiffrer le nombre de classes qui seraient destinées à ces jeunes.

Trois ans plus tard, Québec ne sait pas ce qu’ont fait les centres de services scolaires (CSS) des 33,3 millions qu’il leur a versés pour ces élèves.

Quels types de classes ont été ouvertes ? On nous répond que le « mode de fonctionnement [des classes], leur appellation et leur composition sont des choix locaux », et on nous renvoie aux CSS pour savoir comment a été dépensé l’argent.

De manière générale, on explique que ces sommes permettent « le mentorat, l’élaboration de projets éducatifs personnels et la diversification des regroupements d’élèves doués », mais aussi « la formation et l’accompagnement des enseignants ».

« Pas de consensus » sur la douance

Le ministère de l’Éducation écrit sur son site internet qu’« il n’existe pas de consensus sur une définition universellement reconnue » de la douance et qu’il n’y a « aucun profil unique d’élève doué ni de critère unique permettant de les reconnaître ». On ne diagnostique pas la douance, disent les spécialistes, on l’« identifie ».

Professeure titulaire au département de psychoéducation et de travail social de l’Université du Québec à Trois-Rivières, Line Massé travaille étroitement avec plusieurs CSS.

Elle explique que plusieurs d’entre eux ont d’abord mis en place des « choses simples » pour les élèves qui apprennent plus rapidement, par exemple leur permettre de commencer à travailler avant la fin des explications sur un sujet donné, ou leur donner moins d’exercices.

Mme Massé observe que le milieu de l’éducation s’est « battu pendant des années » pour que des services soient offerts aux élèves à besoins particuliers sans diagnostic.

En conséquence, « il ne faudrait pas qu’on revienne en arrière et qu’on demande une identification » des élèves doués, estime-t-elle. Un élève qui s’ennuie à l’école et se plaint qu’il n’apprend rien, par exemple, devrait être aidé sans qu’on ne l’« identifie » formellement.

En trois ans, le centre de services scolaire de Montréal a reçu près de 2 millions pour offrir des services aux élèves doués. Il a été impossible de savoir combien de classes ont été ouvertes ou comment les services à ces élèves ont été répartis. Les sommes « sont utilisées aux fins spécifiques pour lesquelles elles ont été dédiées », nous a-t-on répondu.

Le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys a de son côté huit classes de douance réparties dans trois écoles. Ce sont elles qui décident des critères pour admettre les élèves en tenant compte des « manifestations comportementales liées à chacun des domaines d’habiletés », explique sa porte-parole Mélanie Simard.

Elle indique que 291 élèves ont des services adaptés dans des classes ordinaires.

Un premier groupe pour élèves doués à Laval

Le centre de services scolaire de Laval ouvrira en septembre prochain un tout premier groupe destiné aux élèves doués à l’école secondaire Georges-Vanier. Pour y accéder, les élèves pourront « avoir réalisé une évaluation par un spécialiste tel un neuropsychologue qui conclut à une douance, ou encore être référés par leur enseignant(e) de 6année du primaire ou leur direction », nous dit-on.

Neuropsychologue pédiatrique, Marie-Josée Caron explique que la douance touche entre 2 et 5 % de la population – « 2 %, pour les puristes », dit-elle.

La douance n’est pas « un trouble » ni « un handicap », explique Mme Caron. « Habituellement, c’est un atout, c’est un facteur de protection. C’est comme avoir une bonne carte », ajoute-t-elle.

Comme certaines écoles suggèrent aux élèves qui voudraient entrer dans un programme de douance d’avoir en main l’évaluation d’un spécialiste, il arrive que des parents viennent la consulter à ce sujet.

« Quand le motif, c’est la douance, c’est souvent pour une accélération pédagogique et c’est souvent demandé ou suggéré par le milieu scolaire », dit Mme Caron.

Il en coûte environ 600 $ au privé pour obtenir une telle évaluation.

Avec les écoles privées qui sélectionnent souvent les élèves les plus forts et de multiples programmes particuliers du réseau public qui font de même, les classes de douance sont-elles nécessaires ?

Marie-Josée Caron ne croit pas qu’il y a trop d’offres pour les élèves doués, bien qu’il y ait peut-être eu « trop d’identification » de la douance dans le passé.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

École secondaire Georges-Vanier, à Laval

« Les écoles privées, ça répond en partie, mais les classes à vocation particulière, c’est une belle offre. Si, dans les écoles, il y a de petites options dessinées pour répondre [aux élèves doués], je trouve que c’est une bonne idée », dit Mme Caron.

Les programmes particuliers destinés aux élèves doués, où on voit les matières beaucoup plus rapidement, « créent une diversité qui n’était pas offerte » à l’heure actuelle, estime elle aussi Line Massé.

« Il y a des jeunes qui ont juste hâte d’être rendus à l’université », illustre-t-elle.