(Montréal et Québec) Avec sa réforme, Bernard Drainville se donne le pouvoir d’annuler des décisions prises par des centres de services scolaires, mais il devra « éviter de faire de la gestion à la pièce », prévient la fédération qui les représente. À Québec, l’opposition accuse le ministre d’ignorer le principal problème en éducation : la pénurie de main-d’œuvre qualifiée.

En vertu du projet de loi 23 déposée jeudi matin au Salon bleu, le ministre de l’Éducation pourra casser des décisions prises par des centres de services scolaires si celles-ci « se détachent » de la vision du gouvernement. Il s’agit d’un « pouvoir d’exception », a précisé M. Drainville.

Si un tel cas survient, la présidente de la Fédération des centres de services scolaires du Québec (FCSSQ), Caroline Dupré, dit qu’elle souhaite que le ministre « tente d’aller comprendre la situation avant » de s’en mêler.

Il faudra éviter de faire de la gestion à la pièce. Des fois, la situation qui est rapportée nous semble complètement démesurée, mais quand on comprend ce qu’il y a derrière, on trouve que c’est une bonne décision.

Caroline Dupré, présidente de la Fédération des centres de services scolaires

En janvier dernier, Bernard Drainville a publiquement rabroué le directeur général du centre de services scolaire du Pays-des-Bleuets, au Lac-Saint-Jean, qui avait annoncé la fermeture de classes de maternelle 4 ans en raison de la pénurie d’enseignants. Le ministre s’était par la suite excusé.

Des directeurs inquiets

Le président de l’Association des directions générales scolaires du Québec, Lucien Maltais, dit que ses membres sont « préoccupés », notamment pour leur sécurité d’emploi. Il soutient néanmoins que les directeurs généraux des centres de services ont toujours été « imputables ».

« Les moyens de communication qu’on utilise pour prendre la parole publiquement ne semblent pas faire l’affaire de certaines personnes, mais on a toujours défendu nos décisions », assure M. Maltais.

Début mai, Bernard Drainville a rappelé que c’est aux directeurs généraux « de prendre la parole et d’expliquer leurs décisions ». Avec sa réforme, le ministre se donne désormais le pouvoir de les nommer et de les renvoyer au besoin.

Des idées qui avaient été « tassées »

Les syndicats estiment pour leur part que cette nouvelle réforme n’est qu’un nouveau « brassage de structure » et que dans les faits, les élèves ne verront pas la différence.

« Est-ce que cette énième réforme viendra régler les importants problèmes que vivent les élèves et le personnel du réseau de l’éducation ? La réponse est non », a déclaré Caroline Senneville, présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).

La création de l’Institut national d’excellence en éducation annoncée jeudi ne suscite d’ailleurs pas l’enthousiasme chez les syndicats.

« On ramène des idées qu’on avait tassées », dit Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). Ce nouvel organisme « devra aller dans le sens du Ministère », appréhende-t-il.

La Fédération autonome de l’enseignement estime pour sa part que ce projet pourrait venir « aggraver cette tendance marquée d’appliquer des solutions “mur à mur”, sans prise en considération du contexte de chacun des établissements, et même des classes ».

La présidente de la FCSSQ, Caroline Dupré, croit toutefois qu’il s’agit d’une idée « fort intéressante », tant que les décisions sont prises en fonction de la recherche en éducation, et non de la politique.

Trop de pouvoirs pour un seul homme

À Québec, l’opposition a accusé le ministre Bernard Drainville de s’accorder trop de pouvoirs.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le député péquiste Pascal Bérubé

« [Il s’agit d’une réforme] de structure qui ne répond pas aux attentes des enseignants, des professionnels et des parents. La CAQ, on dirait que ça veut de plus en plus dire “Centralisation avenir Québec” », dénonce Pascal Bérubé, du Parti québécois.

Pour sa part, Ruba Ghazal, de Québec solidaire, affirme que le projet de loi 23 « éloigne encore plus les décisions du terrain et des élèves ».

« La pénurie de main-d’œuvre a des conséquences très graves sur les élèves puisqu’ils n’ont pas de services. Il n’y a rien [dans] cette réforme qui donne beaucoup de pouvoir à M. Drainville pour donner plus de services aux élèves », dit-elle.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

La députée libérale Marwah Rizqy

Marwah Rizqy, du Parti libéral du Québec, dénonce le fait que le ministre de l’Éducation se donne plus de pouvoirs alors que les équipes-écoles à l’échelle locale souffrent d’en manquer.

« Il n’y a aucun parent qui m’a demandé de limoger un [directeur général]. Il n’y a aucun parent qui m’a dit : “On a vraiment besoin d’un institut d’excellence.” Par contre, voici ce que les parents m’ont dit : “On a besoin de services pour nos enfants, on a besoin d’orthophonistes, on a besoin de psychoéducateurs, on a besoin de psychologues, mais surtout, on a besoin d’enseignants dans nos classes” », a-t-elle déclaré.

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