Un bulletin chiffré vient d’être remis à tous les ministères du Québec par le Conseil du trésor. En queue de peloton ? L’Enseignement supérieur, avec une note globale de 47 %, et l’Éducation, qui récolte 58 %, tandis que le ministère de la Santé arrive au troisième rang des pires notes (67 %). Les ministères du Tourisme, de l’Économie et de l’Innovation et le Conseil exécutif, tous au-dessus de la barre des 90 %, font figure de bons élèves.

Le « Tableau de bord de la performance de l’administration publique » 2021-2022 n’a pas été publicisé et il faut chercher fort pour le trouver sur l’internet. Il est fait de dizaines d’indicateurs (respect des échéanciers, gestion des ressources de l’État, bonnes pratiques, etc.) et de cibles (basées, celles-là, sur les propres buts fixés par les ministères eux-mêmes)1.

Le ministère de l’Éducation pâtit notamment de n’avoir pas créé suffisamment de classes de maternelle 4 ans, de ne pas avoir atteint les taux ciblés d’obtention du diplôme d’études secondaires et de ne pas avoir réduit suffisamment l’écart de réussite entre les garçons et les filles. Aussi non atteinte : la cible (fixée à 48 %) de bâtiments scolaires « dont l’état est satisfaisant ».

Le ministère de l’Enseignement supérieur n’a pas atteint les taux souhaités d’obtention dans les temps d’un diplôme d’études collégiales, de baccalauréat six ans après l’inscription ou de maîtrise quatre ans après l’inscription. Il n’affiche pas non plus le nombre visé d’inscriptions dans les programmes collégiaux et universitaires.

Le ministère de la Santé compte aussi parmi ceux qui pourraient faire mieux, avec sa longue série de cibles non atteintes (durée moyenne d’un séjour sur civière, pourcentage de Québécois ayant un médecin de famille, délais en matière de chirurgie, etc.).

Sans surprise, le ministère de la Famille a perdu des points parce qu’il n’a pas créé les 5000 places subventionnées en service de garde (en installation) tel qu’il le visait, mais seulement 3201.

« Ce n’est pas satisfaisant »

Le cabinet de Sonia LeBel, présidente du Conseil du trésor, a indiqué qu’il ne ferait pas de commentaires.

Le cabinet de Bernard Drainville, ministre de l’Éducation, indique « prendre acte des constats et s’en servir pour rehausser la performance du ministère ». « Ce n’est pas satisfaisant, mais on va travailler à améliorer les choses. »

La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, se dit « évidemment préoccupée par les résultats obtenus par le ministère ».

« L’atteinte des cibles du plan stratégique a représenté certains défis », ajoute-t-elle, évoquant l’incidence de la pandémie et de la pénurie de main-d’œuvre sur les inscriptions et sur le parcours scolaire des étudiants.

Tout en haut du classement, le ministère du Tourisme, qui a notamment dépassé sa cible de répondants québécois ayant l’intention de voyager au Québec l’été, croit que sa bonne performance s’explique par ses efforts importants déployés « pour favoriser la relance des activités touristiques » après les pires moments de la pandémie, avance Virginie Rompré, de la direction communications du ministère du Tourisme.

Un exercice important, un outil perfectible

Steve Jacob, professeur de science politique à l’Université Laval spécialisé en évaluation de programmes, estime que ce tableau de bord de la performance de l’administration publique « est un bon départ » et que cet exercice de reddition de comptes est nécessaire, bien que l’outil soit imparfait et puisse faire sourciller à plusieurs égards.

M. Jacob donne pour exemple la cible de 33,7 % des médailles olympiques aux Jeux olympiques de 2021 récoltées par des athlètes québécois par rapport à l’ensemble des athlètes canadiens. « Pourquoi 33,7 % ? Pourquoi pas 31 % ou 38 % ? »

Mais surtout, il note que si le ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport s’est fixé une cible d’obtention de médailles, il n’y en a aucune qui a trait à la réussite scolaire autochtone, par exemple.

La grande question, c’est de savoir si les cibles établies par chacun des ministères « reflètent vraiment les priorités de la société québécoise ».

Mais tout se mesure-t-il ? Beaucoup de choses, oui, mais encore faut-il, répond M. Jacob, que l’analyse quantitative soit assortie d’une analyse qualitative et qu’on se demande si ce que l’on mesure « permet de changer les choses ».

Et de comprendre ce qui est évalué. Car comme le souligne M. Jacob, la méthodologie fait plus de 40 pages.

Ce type de gestion par résultats a par ailleurs certains effets pervers, fait observer M. Jacob, qui évoque les nombreuses études démontrant que cela amène souvent les gens en poste à tricher de différentes manières pour bien paraître.

Pour sa part, MPatric Besner, vice-président de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), trouve lui aussi l’outil « extrêmement intéressant », bien que perfectible.

Il s’étonne par exemple que le ministère de la Justice ne se soit pas fixé de cible quant « aux délais interminables pour les causes civiles ».

« Comment expliquer, aussi, qu’il n’y ait pas d’objectifs clairs de ce même ministère pour régler le problème criant de pénurie de juges et de greffiers ? », se demande MBesner.

Cela étant dit, il juge important un tel « tableau de bord » qui, rappelle-t-il, doit être un outil et non pas une fin. Car si un budget est dépassé de peu pour mettre en œuvre une mesure importante pour la population, il serait regrettable que les personnes en autorité s’en abstiennent de peur de perdre des points.

La SAAQ en chute

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

C’est surtout l’an prochain, en matière de service à la clientèle, que le bulletin de la SAAQ risque de faire plus mal.

Déjà en 2021-2022 – donc avant la déroute informatique –, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) montrait des signes inquiétants aux yeux du Conseil du trésor. Elle a alors obtenu une note de 69 % et perdu 16 points de pourcentage par rapport à l’année précédente.

Ces données sont tirées du « Tableau de bord de la performance de l’administration publique » dans lequel le Secrétariat du Conseil du trésor distribue un bulletin chiffré à chacun des ministères (voir autre texte) et à cinq organismes publics.

Sur papier, pour la SAAQ, en 2021-2022, ça allait : son plan stratégique a reçu une note de 94 %. C’est au chapitre des cibles atteintes ou non atteintes (44 %) que ça s’est gâté. Même avant le virage informatique raté, la satisfaction de la clientèle n’a pas été suffisamment au rendez-vous, quoique cet objectif de la SAAQ (obtenir une note de satisfaction d’au moins 8,6 sur 10) était tout de même élevé et a été raté de peu.

De justesse, la cible d’au plus 3,9 décès accidentels par tranche de 100 000 habitants a été ratée (on est à 4). Par contre, le taux de personnes accidentées « avec dommages corporels par [tranche de] 100 000 habitants » a donné de bons points à la SAAQ (on est à 187,5 par rapport à une cible initiale de 260,1).

C’est surtout l’an prochain, en matière de service à la clientèle, que le bulletin de la SAAQ risque de faire plus mal.

Autres organismes

Outre la SAAQ, quatre autres organismes publics ont été évalués. La Régie de l’assurance maladie marque par exemple des points avec son bon taux de satisfaction des citoyens à l’égard de la prestation de services de la Régie en assurance médicaments.

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui décroche une note globale de 86 %, paraît cependant mal à plusieurs égards, en ratant de beaucoup certaines cibles importantes. L’organisme s’était donné l’objectif que dans 70 % des cas, une décision d’admissibilité pour des maladies professionnelles soit rendue à l’intérieur de 60 jours. Elle est loin du compte, puisque ça n’a finalement été le cas que de 41,7 % de ce type de dossiers. Pour un accident de travail, la CNESST visait une décision dans un délai maximal de 15 jours pour 60 % des dossiers ; elle n’y est arrivée que pour 32,5 % d’entre eux.

Revenu Québec et Retraite Québec ont, eux, atteint toutes leurs cibles, obtenant par exemple de hauts taux de satisfaction de la clientèle et de bons taux d’utilisation des services électroniques.

Pour les cinq organismes évalués, la note globale accordée par le Conseil du trésor « est composée de la qualité du plus récent plan stratégique diffusé publiquement » (valeur de 50 % de la note) ainsi que « du degré d’atteinte des cibles du plan stratégique présenté dans le rapport annuel de gestion de l’année visée » (valeur de 50 % de la note).

1. Pour le calcul de la note globale des ministères, le volet « efficacité de l’État » compte pour 50 %, « la gestion des ressources de l’État », pour 35 %, « la gestion axée sur les résultats et révision des programmes » vaut 15 % de la note. En raison de la nouvelle composition de l’indice des ministères, pour 2021-2022, aucune comparaison n’est effectuée avec les années antérieures.