Qu’est-ce qui vous vient en tête quand vous pensez à notre folklore ?

De mon côté, vite vite, il y a La Bottine souriante, les chapeaux de Loco Locass et le Bonhomme Carnaval. Disons que c’est un maigre échantillon de traditions hautement importantes. Pour le Conseil québécois du patrimoine vivant, la « culture trad » inclut des activités aussi diverses que l’herboristerie, la forgerie et la construction de canots à glace… Elle incarne notre culture invisible.

« J’aime le mot folklore, lance d’entrée de jeu Christine Bricault. Mais pour certains, il vient avec des relents de quétaine et on travaille fort pour montrer que toutes ces pratiques, avant d’être des flambeaux identitaires, relèvent de l’art. »

Depuis 30 ans, le Conseil québécois du patrimoine vivant veille au développement de différentes pratiques culturelles transmises de génération en génération. Christine Bricault y est coordonnatrice à la formation. Elle organise des évènements pour que des professionnels puissent approfondir leurs connaissances, quelle que soit leur spécialité, perlage, teinture de fibres ou harmonica traditionnel, par exemple.

Depuis quelque temps, elle planche sur la toute nouvelle formation offerte par l’organisme : un cours en meunerie artisanale qui pourrait bien changer le monde.

Avec les meuniers et les apprentis meuniers, on est en train de changer l’ordre de la rupture ! Il était vraiment minuit moins une…

Christine Bricault, coordonnatrice à la formation au Conseil québécois du patrimoine

Depuis plus de 200 ans, le métier de meunier est transmis de maîtres à apprentis. Or, la relève disparaît tranquillement. On a beau avoir des moulins ancestraux en fonction, à quoi serviront-ils si personne ne sait les faire fonctionner ?

Pour remédier à la situation, le Conseil québécois du patrimoine vivant a créé la première formation en meunerie artisanale de l’histoire du Québec, avec une vingtaine d’experts en mesure d’enseigner l’architecture des moulins, la gestion de la vermine, la production des grains et nombre d’autres renseignements importants.

Lancée le 3 février, la formation théorique de 45 heures est offerte à 25 participants qui entameront, en avril, un stage pratique. Leur parcours est étonnamment diversifié ! Il y a des boulangers, des cultivateurs, des historiens en soif de concret, des hommes à tout faire, des ingénieurs qui veulent changer de vie…

« Plusieurs élèves souhaitent donner un sens à leur travail, estime Christine Bricault. Le rôle de meunier est difficile et ils le savaient quand ils se sont inscrits, mais ils savaient aussi qu’un moulin, c’est important pour une région. »

On n’est pas dans l’idée de préserver un vieux métier, mais de préserver un métier utile qui ne vieillira pas.

Christine Bricault, coordonnatrice à la formation au Conseil québécois du patrimoine

Parmi ces personnes en quête de sens, Renaude Samson.

PHOTO FOURNIE PAR RENAUDE SAMSON

Renaude Samson

La quadragénaire travaillait en ressources humaines, quand à l’automne dernier, elle s’est demandé de quoi serait faite la prochaine étape de sa vie… Comme elle fait son pain depuis 20 ans – « parfois avec satisfaction, parfois avec frustration » –, elle est devenue apprentie boulangère dans un établissement du Bas-Saint-Laurent.

« Je me suis dit que la formation en meunerie artisanale serait une belle occasion de maîtriser ce qui se passe avant la fabrication du pain ! »

Ce qui l’impressionne, pour l’instant, c’est le circuit court.

Pour moi, ça n’a pas de sens d’utiliser de la farine qui vient des Prairies ! Avec la meunerie traditionnelle, je connais autant l’agriculteur qui produit le grain que le meunier qui le moud parce que tout se passe à côté… Connaître les acteurs qui participent au processus, ça donne du sens quand tu pétris ton pain.

Renaude Samson

Et c’est d’autant plus important en contexte de crise climatique.

C’est d’ailleurs ce qui a poussé Lyam Pelletier à s’inscrire à la formation, après ses études en environnement : « Je veux savoir comment cette transformation alimentaire peut être résiliente et ancrée dans nos communautés. Chose certaine, j’aimerais avoir un métier qui peut avoir un réel impact environnemental. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Émilise Lessard-Therrien

Même chose pour Émilise Lessard-Therrien. En 2018, la jeune femme a acheté un moulin avec son conjoint. La même année, elle s’est lancée en politique sans trop croire en ses chances… Puis, elle s’est retrouvée à l’Assemblée nationale.

« On a continué à moudre parce que la demande de farine locale est grande au Témiscamingue, raconte-t-elle. Mais à l’automne 2021, on a trouvé un nid de souris dans une poche de 300 kilos de grains. C’était la goutte de trop ! On tenait ça à bout de bras, on manquait de connaissances, on avait deux jeunes enfants et je faisais de la politique avec Québec solidaire. On a mis le projet sur pause. »

Aux dernières élections, la défaite. La formation en meunerie artisanale tombait à point, disons. Dès le premier cours, offert au moulin Légaré (en fonction depuis le XVIIIe siècle !), Émilise Lessard-Therrien a réalisé une chose…

« J’ai passé quatre ans en politique à parler de la crise climatique, mais là, je voyais une des clés de notre autonomie alimentaire… Ce moulin fonctionne avec la puissance de l’eau et il fait de la farine à l’année ! »

Ce n’est pas juste folklorique, on parle d’outils qui durent et qui favorisent notre résilience collective. Il faut continuer à faire vivre ces traditions.

Émilise Lessard-Therrien

Devenir meunier demande de cinq à sept ans de pratique, m’a expliqué Christine Bricault. Heureusement, l’intérêt est grand ; le Conseil québécois du patrimoine vivant a dû refuser des inscriptions pour sa première formation.

« Je pense que les gens sont de plus en plus conscients qu’un moulin, c’est du développement durable. Ça vient faire un pied de nez au système actuel. »

Pour Émilise Lessard-Therrien, la meunerie artisanale peut même contribuer à l’essor des régions.

« Tu fais du pain qui goûte le coin de pays où le blé est cultivé ! Dans la grande discussion au sujet du nationalisme, j’aimerais qu’on parle plus de fierté du territoire, de la diversité de notre terroir et de notre savoir-faire. C’est vrai pour la meunerie comme pour la musique traditionnelle. Pour tout ce qui a permis à nos collectivités de survivre, au fond… »

Inspirant, tout ça, non ?