Elle a perdu un mari, ils ont perdu leur père. Une mère de famille qui estime que la négligence a mené à la mort tragique du père de ses enfants des suites de la COVID-19 en 2020 poursuit le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal pour 2,3 millions de dollars.

Fin mars 2020. Nous sommes en pleine première vague de la COVID-19. Amoti Lusi Furaha, une mère de cinq enfants, travaille comme préposée aux bénéficiaires à Dorval pour le CIUSSS-de-l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

C’est le moment où les équipements de protection individuels, comme les masques, sont très restreints. Et où le Québec est en plein premier confinement.

Son mari, Désiré Buna lvara, reste dans leur maison de Deux-Montagnes avec les cinq enfants du couple, âgés de 2 à 19 ans. Il rédige sa thèse de doctorat en santé et société de l’Université du Québec à Montréal, qu’il doit soutenir en juin.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Amoti Lusi Furaha en compagnie de cinq de ses six enfants

Le couple a immigré de la République démocratique du Congo dans l’espoir d’une vie meilleure au Québec.

Contaminée au travail 

Le 31 mars 2020, Mme Furaha constate avec surprise que son collègue malade est sur place. Il avait été absent pendant trois jours et présentait toujours des symptômes de COVID-19, peut-on lire dans les documents judiciaires.

Inquiète, Mme Furaha va voir son chef d’unité et demande le retrait de son collègue. « ​​Il m’a traitée comme si j’étais hystérique, comme si j’avais peur de tout », dénonce-t-elle, en entrevue avec La Presse.

Elle termine donc son quart de travail avec son collègue. Et elle s’en voudra toute sa vie.

Le 6 avril, la mère de famille commence à présenter des symptômes de la COVID-19. Ses enfants et son mari aussi. Un test de dépistage se révèle positif. Dans la nuit du 11 au 12 avril, M. Ivara, âgé de 50 ans, est hospitalisé à l’hôpital de Saint-Eustache.

Il est transféré au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) la même nuit. Il meurt des suites de la COVID-19 un peu plus d’un mois plus tard, le 20 mai.

Sans le savoir, Amoti Lusi Furaha est enceinte de son sixième enfant, qui naîtra six mois plus tard. Sans père.

« On ne m’a pas prise en considération »

« En dedans de moi, je savais que mon collègue était malade, mais mon chef d’unité n’a pas pris ça en considération », analyse Mme Furaha. « Je souffre de toute cette injustice-là. Je suis une immigrante. Si j’avais été une fille du Québec, une Québécoise. […] Mais je suis noire, personne ne m’a prise au sérieux », ajoute-t-elle au bout du fil, la voix brisée.

Le collègue infecté est resté en poste pendant plusieurs jours jusqu’à l’intervention du syndicat, alerté par Mme Furaha. Il a alors dû subir un test de dépistage, qui s’est bel et bien révélé positif, indique le document judiciaire.

« En ne respectant pas les consignes de la Santé publique du Québec, [ce collègue] a fait preuve de négligence grave et a ainsi contaminé la demanderesse Amoti », soutient Mlguélé Amélie Sagnon, l’avocate de Mme Furaha, dans la demande présentée à la Cour supérieure le 25 avril.

Le chef de service ne pouvait pas non plus ignorer ses « obligations légales », estime MSagnon. De même, le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal a « manqué à ses obligations légales » concernant la sécurité de Mme Furaha sur son lieu de travail, peut-on lire.

La famille demande donc un dédommagement de près de 2,3 millions de dollars au CIUSSS et aux deux hommes.

Par courriel, le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal a offert ses « plus sincères condoléances à la famille et aux proches ». « Puisque le dossier est judiciarisé, nous ne commenterons pas pour ne pas nuire au processus en cours », a ajouté la porte-parole, Hélène Bergeron-Gamache.

Un deuil atroce 

La famille a vécu et vit toujours un deuil très difficile, résument les documents judiciaires. « Mon fils avait 2 ans, il a cherché son père partout, au sous-sol, là où son père étudiait, dans les garde-robes, partout. Je lui ai dit que papa était parti au ciel. Il m’a donné la clé de la voiture, ses chaussures, pour qu’on aille chercher papa au ciel », confie Mme Furaha.

Qui plus est, la mère de famille avait fait de nombreux sacrifices pour que son mari puisse terminer son doctorat. « Je n’ai même pas eu le temps de jouir des fruits des efforts qu’il a faits », déplore-t-elle.

Elle a dû prendre un congé sans solde pour retourner sur les bancs d’école afin d’améliorer sa situation financière. Avec cette poursuite, elle veut dénoncer le drame subi et indemniser ses six enfants.

« Je sais que tout ce que je peux faire, ça ne va pas faire revenir mon mari en vie, mais ​​c’est vraiment injuste, soutient-elle. On ne m’a pas écoutée, et ça a pris la vie de mon mari. »

Dans une version précédente de ce texte, nous indiquions que le CIUSSS-de-l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal ne nous avait pas répondu au moment de publier. Il y a eu erreur de communication. Sa réaction a été ajoutée au texte. Nos excuses.