C’est un scoop troublant qu’a sorti le journaliste Thomas Gerbet de Radio-Canada, cette semaine : non, la Santé publique n’a jamais « validé » la méthodologie du ministère de l’Éducation pour tester la ventilation dans les écoles, contrairement à ce qu’avait dit le ministre Jean-François Roberge.

L’enjeu de la ventilation dans les écoles est scientifiquement complexe et politiquement explosif. On sait que le coronavirus peut se transmettre par aérosols, dans des pièces mal ventilées. Beaucoup d’écoles au Québec sont justement mal ventilées.

Le ministère de l’Éducation a tenté de rassurer les parents inquiets en faisant des tests qui, selon le ministre, montraient qu’il n’y avait pas de problème grave de ventilation.

Ces tests mesurent le taux de CO2 dans une classe, canari dans la mine des infections au coronavirus : plus il y a de CO2, moins la classe est ventilée et plus elle peut contenir d’aérosols contaminés au coronavirus.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation

Je vais résumer le test grossièrement : on prend des mesures avant et après l’ouverture des fenêtres, on fait une moyenne des « parties par million » de CO2. Je cite le ministre Roberge, en janvier : « Les protocoles de tests de CO2 effectués dans nos écoles ont été établis conjointement avec la Santé publique et ils sont validés par celle-ci. Ils sont rigoureux. »

Sauf que c’est rigoureusement faux, nous apprenait cette semaine Radio-Canada.

> Lisez un article de Radio-Canada

L’hydre à deux têtes qu’est la Santé publique – celle du Ministère et celle de l’Institut national de santé publique (INSPQ) – n’a jamais « validé » les tests préconisés par le ministère de l’Éducation.

> Lisez un article de Radio-Canada

***

Les deux « Santé publique » ont en fait émis de sérieuses réserves sur la légitimité scientifique des tests préconisés et défendus par Jean-François Roberge.

Mais les deux Santé publique ont émis ces réserves de façon très discrète, dans le secret des officines, loin de la lumière du jour. Cela a bien sûr eu le mérite de laisser le politique dire ce qu’il voulait, sans risque d’être contredit par les scientifiques employés par l’État.

Depuis les révélations de Radio-Canada, le cabinet de M. Roberge n’utilise plus le verbe « validé ». Il affirme désormais que les deux Santé publique « ont été consultées et ont commenté » le protocole bricolé par l’Éducation…

Le verbe « validé » a disparu des explications.

Les partis de l’opposition réclament la démission de Jean-François Roberge, au motif qu’il a menti. Rima Elkouri, vendredi, a dénoncé ce mensonge. Permettez que je soulève le sous-texte le plus troublant de cette affaire, au-delà du mensonge ministériel. Il réside dans l’indépendance de la science dans ce gouvernement…

> (Re)lisez la chronique de Rima Elkouri

Est-ce que « les » Santé publique sont autonomes, au sein de l’État ?

Je posais la question à propos du DHoracio Arruda il y a 11 mois, lui qui mêle politique et santé publique avec ses deux titres de directeur national de santé publique et de sous-ministre. Cette semaine, Ariane Lacoursière a posé des questions sur les deux chapeaux du DArruda. Notre directeur national a souvent l’air d’un ministre quand il justifie des décisions. Ce n’est pas son rôle.

> (Re)lisez une chronique de Patrick Lagacé

> (Re)lisez l’article « Le Dr Arruda porte-t-il un chapeau de trop ? »

Je reviens à la saga des tests de ventilation dans les écoles : pendant des mois, un ministre poids lourd du gouvernement a donc affirmé que « la Santé publique » avait « validé » ses tests, alors que c’était faux… Et « la Santé publique » n’a jamais, jamais, jamais protesté publiquement contre le fait qu’on l’avait ainsi instrumentalisée.

Non, il a fallu qu’un journaliste fouille et pose les bonnes questions, sur la foi de documents fournis par des sources confidentielles, pour que la vérité voie la lumière du jour… Après des mois de débat faussé.

Au-delà de savoir si M. Roberge a menti, il ne faut pas un grand effort d’imagination pour comprendre que le politique a compris qu’il pouvait instrumentaliser la science incarnée par « la Santé publique » pour se sortir d’un bourbier politique. C’est ce qu’a fait Jean-François Roberge.

La Santé publique a tellement bien compris que le politique mène le show que le DRichard Massé, conseiller spécial à la Santé publique du MSSS – et ex-directeur national de la Santé publique –, a participé le 8 janvier à une conférence de presse sur le protocole de tests de l’Éducation… Alors que l’INSPQ lui avait dit fin novembre que ces tests n’étaient pas valides, sur le plan scientifique.

***

Il faut tirer les leçons qui s’imposent : la Santé publique salariée de l’État n’est pas autonome, en tout cas, pas totalement. C’est tragique, en ces temps où l’incertitude est déjà galopante dans une population à bout de souffle.

Pas autonome ? Essayez par exemple de faire dire à un directeur régional de santé publique ce qu’il pense du retour des élèves de troisième, quatrième et cinquième secondaire en présentiel chaque jour en zone rouge, essayez d’avoir une réponse claire de sa part quant à savoir si cela est opportun en cette troisième vague…

> Écoutez une entrevue du 98,5 FM

Entre les lignes, vous allez entendre les œufs sur lesquels un DSP régional marche pour ne pas contredire les décisions du politique.

Non, j’ai bien peur que si on veut des avis clairs sur la santé publique, des avis exprimés sans égard à la sensibilité du politique, ce n’est ni à la Santé publique du MSSS ni à l’INSPQ qu’il faut poser des questions.

C’est aux experts affiliés aux Écoles de santé publique des universités québécoises qu’il faut poser des questions : ceux-là ne sont pas des salariés de l’État.

Ceux-là font de la Santé publique, pas de la Santé politique.