« Évaluons objectivement la capacité d’accueil d’immigration au lieu d’en faire un enjeu politique partisan. » Voilà une phrase qui revient souvent. On a maintenant une partie du portrait avec le nouveau rapport du commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil.

Il démontre les limites de la francisation. Elle ne suffit pas pour stabiliser le français. Son rôle est à la fois essentiel et insuffisant.

Les immigrants sont proportionnellement moins nombreux que la population native à parler français. Par exemple, le tiers des travailleurs temporaires ne maîtrise pas la langue de Leclerc.

Une minorité de ces personnes s’inscrira aux cours de francisation. À peine la moitié d’entre elles trouvent des cours et réussissent à les suivre. Et parmi les personnes inscrites, seule une minorité les terminera. La durée moyenne des études est d’environ trois mois à temps plein. Cela suffit à peine à dépasser le niveau de débutant.

La mathématique est implacable : la pression sur le français s’accentue.

À première vue, ce constat n’est pas neuf.

Les rapports se succèdent depuis une décennie pour dénoncer les ratés en francisation. Mais plusieurs choses ont changé dans la dernière année.

Le gouvernement caquiste a mis de l’ordre dans les cours. Il a créé Francisation Québec, avec un guichet unique pour centraliser les cours qui étaient auparavant éparpillés entre trois ministères. Il a aussi lancé une plateforme pour les étudiants, embauché des professeurs et établi une évaluation standardisée qui se fait en ligne.

Malgré ces avancées, plusieurs problèmes demeurent. La moitié des nouveaux arrivants inscrits à des cours poireautent sur la liste d’attente.

Quand on les rappelle enfin, ils ont souvent déménagé ou trouvé un emploi qui les occupe. Et s’ils modifient leurs disponibilités, ils perdent leur priorité sur la liste.

Des efforts restent donc à faire. Or, en même temps que ce système doit être amélioré, la pression augmente à cause de la hausse de l’immigration – environ 20 000 travailleurs temporaires arrivent chaque mois au Québec.

Les attentes doivent être réalistes. Avec la francisation dans sa forme actuelle, on ne peut pas maintenir le niveau d’immigration sans fragiliser le français.

Suffit de se mettre dans la peau d’un nouvel arrivant pour comprendre les limites de la francisation.

La rémunération offerte équivaut à l’aide sociale. C’est peu quand vous devez loger et nourrir votre famille. Des chèques ont même été perdus dans la poste – le formulaire ne comportait pas de case pour inscrire le numéro d’appartement…

Pour s’inscrire, il faut environ 45 minutes pour remplir le formulaire. La complexité de cette paperasse a surpris les fonctionnaires, rapporte M. Dubreuil.

Pire, ce document est seulement en français. Pour un nouvel arrivant qui n’a pas encore suivi son premier cours, c’est pénible.

Pendant ce temps, la société d’accueil envoie des messages contradictoires. Le français est la langue officielle, mais si vous habitez dans le Grand Montréal, les commerces vous accueillent en bilingue. Au travail, on vous accommode aussi. Parfois, c’est même l’anglais qui est obligatoire. Alors vous vous mettez au travail, en vous débrouillant dans la langue que vous connaissez.

Ajoutez à cela le changement de valeurs. Les 18-34 ans accordent moins d’importance au français que le reste de la population, comme le révèle le nouveau rapport quinquennal de l’Office québécois de la langue française.

Le rapport du commissaire ne tient pas compte de la francisation en entreprise. Les cours étant encore trop éparpillés, il peinait à en brosser un portrait fidèle.

Ces cours permettraient de rejoindre les travailleurs qui manquent de temps et d’argent pour suivre la formation actuelle. Un enjeu financier explique la lenteur de leur déploiement. En coulisses, les entreprises font pression pour que ce coût ne leur soit pas entièrement refilé.

Pour que la francisation fonctionne, les cours au travail doivent se multiplier. Mais au niveau actuel d’immigration, l’offre peinera à suivre la demande, soutient M. Dubreuil.

Son précédent rapport concluait que si le Québec veut franciser tous ceux qui le souhaitent, il doit réduire la demande en sélectionnant davantage de candidats maîtrisant déjà cette langue. Le gouvernement caquiste a d’ailleurs déjà annoncé que sa grille de sélection serait modifiée en ce sens.

Cela nous ramène à la capacité d’accueil.

Elle n’est pas figée. Elle dépend des ressources offertes par l’État. Et en francisation, il reste du travail à faire. Mais elle n’est pas infinie non plus.

M. Dubreuil clarifie un débat qui s’embrouillait sous la partisanerie, avec le spectre de la prétendue « louisianisation » ou les accusations à mots cachés de xénophobie.

Reste qu’aucun rapport ne permettra à lui seul d’évaluer cette capacité. Car elle dépend aussi de l’importance accordée à des valeurs intangibles et subjectives comme la protection de la langue.

Cette réponse revient aux politiciens. Et grâce au diagnostic précis et dépassionné du commissaire, ils ont un outil de plus pour y réfléchir.