En 1996, le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard s’est mis en tête de créer les « conditions gagnantes » pour remporter un troisième référendum sur la souveraineté du Québec. Il fallait impérativement s’attaquer à la dette publique pour atteindre le fameux « déficit zéro ». Ce grand ménage s’est traduit par de douloureuses coupes en santé, en éducation et dans l’aide sociale.

On connaît le résultat : les conditions gagnantes sur le plan financier se sont métamorphosées en conditions perdantes pour l’appui à l’indépendance, qui n’a pas cessé de reculer depuis cette époque-là.

Pour Michel Roche, professeur de science politique à l’Université du Québec à Chicoutimi, ça n’a rien d’une coïncidence. Les politiques néolibérales, estime-t-il, ont considérablement affaibli la solidarité sociale des Québécois, sapant leur sentiment d’appartenance et, du même coup, leur volonté de créer un État indépendant.

Cette thèse est au cœur du plus récent essai de M. Roche, La question nationale, une question sociale : essai sur la crise du mouvement indépendantiste québécois (Liber). Pour cet indépendantiste de gauche, l’identité nationale ne tient pas qu’à une langue et à une culture communes. Elle tient aussi, pour beaucoup, à un sentiment de solidarité. « La question nationale et la question sociale demeurent conjuguées, imbriquées, inséparables », écrit-il.

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La question nationale, une question sociale : essai sur la crise du mouvement indépendantiste québécois, de Michel Roche

Ces deux questions sont inséparables depuis la Révolution tranquille, depuis la création de l’État-providence et de programmes sociaux universels, bref, depuis que les Québécois ont commencé à défendre, ensemble, une certaine idée du bien commun.

C’est encore parce que ces deux questions étaient inséparables que le Québec est presque devenu un pays, en 1995. « La montée du Oui au référendum québécois de 1995 provenait d’une mobilisation des mouvements sociaux face à un patronat fédéraliste, écrit Michel Roche. La droite n’aurait jamais pu l’emporter seule. Se séparer d’un pays développé faisant partie des plus vieilles démocraties libérales et où le niveau de vie compte parmi les plus élevés du monde demande beaucoup plus qu’un rappel de la Conquête de 1760, de la répression des Patriotes, du recul de la langue française ou des données sur le déséquilibre fiscal. »

J’espère que Paul St-Pierre Plamondon lira l’essai de Michel Roche. C’est ce que je me disais, mardi, en écoutant le chef péquiste ressasser le triste destin des Québécois colonisés par les maîtres britanniques, insistant sur « les déportations, les exécutions et l’interdiction d’avoir de l’éducation en français ».

Tout ça après un discours pour le moins alarmiste, dimanche, au Conseil national du Parti québécois. Un discours basé, essentiellement, sur la peur.

C’est drôle, autrefois, la peur faisait partie de l’arsenal des troupes fédéralistes. Attention, prévenaient sombrement les tenants du Non, un Québec indépendant serait condamné à la ruine ! La fuite des capitaux serait inévitable ; déjà, les fourgons blindés de la Brink’s prenaient la route de Toronto…

Par un étrange retournement de situation, c’est désormais le chef péquiste qui choisit de faire peur aux Québécois, en leur donnant le choix entre l’indépendance et… l’extinction.

Le gouvernement fédéral est « un régime qui ne sait qu’écraser ceux qui refusent de s’assimiler », les a-t-il mis en garde, dimanche. Un troisième référendum sera leur « chance ultime » de fonder un pays. Si le Non l’emporte, ils seront condamnés au déclin, jusqu’à la disparition. Rien de moins.

C’était étonnamment dramatique – et soudain. Pendant des années, le PQ a mis son option en veilleuse et, tout d’un coup, ça devient une urgence nationale ? Et puis, faut-il vraiment croire qu’à Ottawa, un régime terriblement malfaisant complote sans relâche pour éradiquer le peuple québécois ?

Avec un tel discours, PSPP convaincra les convaincus, mais ne gagnera jamais une majorité de Québécois à sa cause. Lui qui avait su montrer une image positive et rassembleuse – propulsant le PQ au sommet des sondages – semble pris d’une irrésistible envie d’agiter des épouvantails.

Il me semble pourtant que faire peur au monde, ce n’est pas ce qu’il y a de plus inspirant. Surtout quand il s’agit de se donner un pays.

« Un discours comme celui-là, ça peut éloigner bien des jeunes du projet indépendantiste. En matière d’indépendance, pour construire un pays, je pense que l’espoir est plus fécond que le ressentiment », a commenté le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois.

Il n’a pas tort. Les sondages montrent que les jeunes rêvent de moins en moins d’indépendance. Ils n’ont pas envie d’un Québec replié sur lui-même ni d’un Québec qui se lamenterait des injustices des siècles passés. Plutôt que de chercher à faire peur, le mouvement souverainiste devrait redoubler d’efforts pour rejoindre les jeunes sur leur terrain, en défendant par exemple des causes sociales et environnementales.

Convaincre les Québécois en leur proposant un projet porteur d’espoir : ça vaut aussi pour les nouveaux arrivants, soit dit en passant. Je ne dis pas que ça serait facile, mais il faudrait au moins… essayer.

Ça ne veut pas dire que la préservation du français et de la culture soit une considération secondaire. Bien sûr que c’est primordial. Mais pour Michel Roche, « on ne peut pas compter sur les seules questions identitaires pour rallier une majorité, comme le suggère une certaine mouvance conservatrice ». Mathématiquement, c’est juste impossible.

Depuis quelques années, cette mouvance conservatrice appelle à se débarrasser de tout projet de société inspiré des valeurs progressistes, souligne le politologue. À gauche, au contraire, certains considèrent l’indépendantisme comme un obstacle aux luttes sociales qui leur sont chères.

Bref, le mouvement souverainiste, qui a besoin d’absolument tout le monde, est plus écartelé que jamais.

Conscient de l’immensité du défi, Paul St-Pierre Plamondon appelle à former « la plus grande coalition pour le Oui que le Québec n’aura jamais connue ». Il veut rassembler les souverainistes de toutes allégeances, tendant la main aux conservateurs, aux progressistes, aux libertariens et même… aux pastafariens.

Le chef péquiste espère convaincre tout ce beau monde de s’entremêler joyeusement comme des spaghettis, le temps d’une campagne référendaire : « Que vous soyez à droite, à gauche, peu importe le désaccord que nous pouvons avoir sur le sujet du jour, il faut, par loyauté pour le Québec, s’entendre sur l’essentiel. »

Pierre Falardeau le disait autrement : « Comme si la lutte de libération nationale n’était pas, en soi, un projet de société. Le bateau coule et des passagers veulent discuter de l’aménagement intérieur de la chaloupe. Ramons, câlice ! »

L’important, c’est de donner à un peuple sa pleine liberté politique, ajoutait le défunt cinéaste. Il sera toujours temps, après, de discuter de la couleur de la casquette du capitaine…

Cette grande coalition, toutes tendances idéologiques unies, est sans doute la seule façon pour le Québec d’accéder à l’indépendance. Le PQ y était presque, à l’époque où Louise Harel pouvait cohabiter au sein du même parti que Jacques Brassard. Mais je me demande parfois s’il n’est pas trop tard, désormais, pour ramer tous ensemble. Notre société est tellement divisée, nous nous déchirons sur tant de détails que je me demande si nous sommes encore capables de mettre nos chicanes de côté pour faire cause commune, à propos de quoi que ce soit.

Rallier le PQ et QS pour l’indépendance s’est soldé par un échec, il n’y a pas si longtemps. Depuis, le fossé s’est creusé, la polarisation s’est accentuée. Imaginez maintenant rallier la gauche prodiversité et la droite identitaire. Les deux camps se méfient énormément l’un de l’autre. Ils ne s’entendent même plus sur les définitions de base.

Quand je lis par exemple, sur les réseaux sociaux, les commentaires hargneux conspuant le « nationalisme identitaire » de PSPP, suivis de commentaires tout aussi acerbes à propos des « politiques gauchistes » du même homme, je me dis que la partie n’est pas gagnée.

Si le chef péquiste persiste à jouer la carte de la peur, je crains même qu’elle soit perdue d’avance.