Le flash m’est venu en sortant de la station de métro du parc Jean-Drapeau. Quand j’ai aperçu ces milliers de gens converger vers le site où avait lieu l’évènement L’éclipse du siècle, j’ai revu les images qu’on nous remontre sans cesse de la foule se rendant à Woodstock.

Cette impression est devenue plus forte lorsque, peu après 15 h 26, on a entendu le signal donnant la permission aux 100 000 personnes réunies de retirer leurs lunettes. Une immense clameur est montée. On a entendu des cris, des sifflements, des applaudissements.

Et pourtant, Jimi Hendrix n’était pas sur scène. On applaudissait quoi ? La victoire de la Lune sur le Soleil ? L’effet ahurissant du synchronisme de deux astres ? L’extrême rareté d’un phénomène fascinant ? La réponse se trouve dans tout cela.

Mais si les gens réagissaient aussi bruyamment, c’est pour une raison toute simple. Ils n’étaient pas venus voir seulement une éclipse. Ils auraient pu la regarder de leur cour ou d’un trottoir. Ils étaient venus l’observer au parc Jean-Drapeau pour vivre cette expérience avec d’autres êtres humains.

En se massant près de la Biosphère ou dans d’autres lieux au Québec, des dizaines de milliers de gens savaient que leurs émotions seraient multipliées par cent, car ils la vivraient avec d’autres.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Une dame s’extasie en regardant l’éclipse, au parc Jean-Drapeau.

À une époque où l’individualisme prend le dessus dans tous les domaines, c’était franchement beau à voir. J’ai pris quelques-unes des précieuses secondes qu’a duré l’éclipse totale pour observer la foule qui regardait le ciel. Je vous avoue que j’ai eu les yeux pleins d’eau.

Ce sont des moments comme celui-là qui nous donnent espoir en l’humanité. Je n’allais pas m’en priver.

Il faut bien sûr parler de l’organisation de ce happening historique, réalisée par les équipes du parc Jean-Drapeau et d’Espace pour la vie, qui dans l’ensemble était au poil, à part les files interminables devant les camions de nourriture. Certains ont dû patienter le temps de plusieurs dizaines d’éclipses pour manger un cheeseburger ou une pointe de pizza.

De 11 h à 13 h 30, les enceintes acoustiques ont renvoyé des musiques électroniques un peu à la manière de Vangelis. Les gens en ont profité pour visiter les stands d’information (très bien faits) ou poser leur griffe sur l’un des quatre disques géants qui seront remis au Planétarium en guise de souvenir. Puis, DJ Champion s’est installé pour animer la foule sans doute la plus éclectique que j’aie vue de ma vie.

L’animatrice Sophie Fouron a présenté le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne. Il était tellement enthousiaste que j’ai pensé un instant que cela allait faire changer la trajectoire du Soleil et de la Lune et nous faire rater l’éclipse.

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Valérie Plante, mairesse de Montréal

Après le bref passage de la mairesse Valérie Plante, venue essentiellement sur scène se prendre en égoportrait avec la foule derrière elle, l’astrophysicienne Laurie Rousseau-Nepton et l’astronaute David Saint-Jacques y sont montés. Ce dernier a fait un pied de nez aux technologies et a expliqué aux spectateurs le phénomène d’une éclipse à l’aide de trois ballons de couleur. J’adore cet homme !

On nous avait promis l’Orchestre Métropolitain et Yannick Nézet-Séguin. Nous les avons eus, mais sur écran. Ce fut une déception. Le chef a choisi d’interpréter un extrait de Tristan et Isolde de Wagner. Ce n’était pas le meilleur choix pour un public aussi hétérogène.

Puis, Diane Dufresne est apparue pour interpréter Hymne à la beauté du monde dans une version remaniée (elle y intègre des extraits d’Oxygène) qu’elle a créée dans son dernier spectacle. Le ciel a commencé à s’assombrir. Avant de quitter la scène, la chanteuse a lancé cet avertissement au public : « N’oubliez pas, la dernière chance de la Terre, c’est nous. »

Il faut le dire, l’expérience de l’éclipse nous a montré un phénomène d’une grande beauté. Mais elle nous a aussi offert une vision carrément apocalyptique. Et si le Soleil disparaissait ? Ou, au contraire, s’il se mettait à nous brûler ? Je suis sûr que ces idées vous ont aussi habités lundi.

Quand l’éclipse totale est arrivée et que j’ai retiré mes lunettes, j’ai été estomaqué. Je m’attendais à plein de choses, mais pas à ça. C’est comme si on découvrait un astre complètement inconnu jusqu’ici. Ce n’était ni la Lune, ni le Soleil, mais une sublime fusion des deux.

Et cette étrange luminosité qui a régné pendant quelques minutes, je n’en reviens toujours pas. J’essayais de trouver des équivalents. Certains moments à l’aube ? Ou d’autres qui précèdent un orage ? Ou encore d’autres en fin de journée lorsque le ciel est incertain ? Il n’y avait rien de cela. Toute ma vie, je vais garder en mémoire cet éclairage inquiétant qui a enrobé la foule.

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Embouteillage piétonnier au parc Jean-Drapeau une fois le concert des astres terminé

Après l’éclipse, les gens se sont rués vers l’entrée du métro. On avançait à pas de tortue. À côté de moi, un petit garçon a dit à sa mère : « C’était le plus beau spectacle de toute ma vie. » Dans sa tête de petit bonhomme, il voyait lui aussi cela comme un spectacle. Ça m’a fait sourire.

Dans ma tête d’homme en voie d’être mature, il y avait autre chose. Ce que je venais de vivre était un instant unique arraché à l’éternité.

La Lune et le Soleil, merci pour l’excellent show ! J’aurais cependant pris un rappel.