On ne parle que d’elle. Pour la première fois en 92 ans, elle se produira dans le ciel de Montréal. Comment se sent-elle, à la veille du grand jour ? Ou devrais-je plutôt dire : comment se sent-elle à la veille de la grande nuit en plein jour ? L’éclipse totale a accepté de me rencontrer en exclusivité mondiale.

Ne devant pas la regarder, parce que cela serait dangereux pour mes yeux, je fais l’entrevue, dos à dos, à la façon Louise Deschâtelets, du temps de l’émission Le confident. Ceux qui ont vu l’éclipse totale, il y a 92 ans, comprendront la comparaison.

STÉPHANE LAPORTE (S.L.) : Bonjour ! Ou devrais-je dire bonne nuit ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : Bonjour nuit, ça va faire.

S.L. : Alors, bonjour nuit ! D’abord, comment allez-vous ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : Chus pas mal su’ l’gros nerf ! Demain, c’est le plus gros show sur la Terre. C’est le Cirque du Soleil avec le Cirque de la Lune en même temps ! Faut pas que j’manque mon coup !

S.L. : Qu’est-ce qui vous rend aussi nerveuse ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : Ben, premièrement, la météo. Quand j’ai vu la tempête de neige de mercredi dernier, j’me suis dit : C’est quoi, l’affaire ? Qu’essé qui se passe, 25 centimètres de neige le 4 avril !? Qu’essé qu’elle essaie de faire, la tempête de neige ? A veut me voler le show en bouchant le ciel !? Mais ça m’étonne pas, tous les phénomènes naturels sont jaloux de moi.

S.L. : Pourquoi ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : C’est facile à comprendre. Une tempête de neige, on en parle, quoi, durant deux jours ? Une inondation, on en parle durant une semaine. Un tremblement de terre, on en parle durant un mois. Un arc-en-ciel, on en parle durant une heure. Moi, ça fait des décennies qu’on parle de moi. Qu’on m’annonce, qu’on m’attend. À Montréal, la seule chose qu’on attend depuis aussi longtemps que moi, c’est la Coupe Stanley ! Y est mieux de pas tomber un p’tit maudit verglas ou une averse. J’veux un ciel dégagé. C’est pas trop demander. Une fois par presque cent ans.

S.L. : Comment doit-on s’habiller pour aller voir une éclipse totale ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : Ben, si on est chanceux, demain, à Montréal, on prédit du soleil et 15 °C, alors habillez-vous printanier. C’est sûr que plus que ça va s’obscurcir, plus que ça va se rafraîchir, ça va prendre un coton ouaté ou une p’tite laine pas loin. Pis quand y va faire noir comme la nuit, ben, vous pouvez enfiler votre pyjama.

S.L. : En quoi va consister votre spectacle ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : Ça va être très visuel. Comme du Robert Lepage. Ça va commencer à 14 h 14. Exactement. J’attendrai pas après les retardataires. Si vous êtes pognés dans le trafic, ouvrez votre toit ouvrant. La Lune va couvrir peu à peu le Soleil. C’est très important de mettre ses lunettes de protection durant toute cette partie du spectacle, parce que moi, je suis pas responsable de tous les dommages aux yeux causés par le Soleil fixé trop longtemps. De toute façon, vous pouvez ben me poursuivre, je reviens dans 181 ans. 

S.L. : Ensuite, il se passe quoi ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : À 14 h 43, la Lune va avoir recouvert le Soleil à 70 %, et c’est là que la chanson de Ginette Reno va devenir réalité : on va avoir des croissants de Soleil ! Ce sera pas pour déjeuner, mais pour une p’tite collation d’après-midi.

S.L. : Parlant de chansons, que proposez-vous comme trame sonore à votre visuel ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : Ben, j’ai justement fait une playlist, sur Apple Music et Spotify. Ça commence avec Le soleil a rendez-vous avec la lune de Charles Trenet. Suivi d’Eclipse de Pink Floyd, Ain’t No Sunshine de Bill Withers, Où est le soleil ? de Paul McCartney, I Don’t Care if the Sun Don’t Shine d’Elvis Presley, En attendant le soleil de Vincent Vallières, Invisible Sun de The Police, Sous le soleil exactement de Serge Gainsbourg, Here Comes the Sun des Beatles et Il est mort le soleil par Nicoletta.

S.L. : Beau choix ! Le clou du spectacle, ça va être à quelle heure ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : À 15 h 27, quand y va faire complètement noir. À ce moment-là, vous pouvez enlever vos lunettes de protection. Vous allez constater qu’on voit rien, y fait noir.

S.L. : Est-ce que durant l’obscurité complète, il va se passer des phénomènes étranges ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : Les animaux vont avoir leurs comportements de nuit. Les humains, aussi, d’ailleurs. Comme si vous faites de l’insomnie, la nuit, ben, vous allez être réveillé. Si vous êtes le genre à dormir la nuit, vous allez peut-être vous endormir un peu, mais pas longtemps. Vous avez entre une et trois minutes et demie pour vous assoupir. Si vous devez lire un peu, avant de fermer l’œil, pas besoin d’apporter un gros livre. Vous aurez pas le temps pour Guerre et paix, vaut mieux un livre guère épais.

S.L. : Vous êtes une comique, vous ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : C’est pas parce que chus une éclipse que chus pas allumée.

S.L. : Qu’allez-vous faire demain, en fin d’après-midi, quand ça va être tout fini ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : Je vais m’éclipser. 

S.L. : En terminant, Éclipse totale, quelle est la date de votre supplémentaire à Montréal ?

L’ÉCLIPSE TOTALE : Le 17 juillet 2205. J’espère que le Stade olympique sera doté d’un toit qui s’ouvre, en 2205, comme ça les gens pourront la regarder de là. Surtout que ça va correspondre à la date précise du 229e anniversaire de l’ouverture des Jeux olympiques de 1976.

S.L. : C’est un rendez-vous !