On ne peut plus dire que les victimes d’agression sexuelle ne sont pas prises au sérieux au Québec.

Les données publiées samedi par mes collègues Ariane Lacoursière et Caroline Touzin1 indiquent que les plaintes à la police pour agression sexuelle sont retenues plus que la moyenne des crimes.

D’avril 2022 à avril 2023, 33 919 dossiers d’agression sexuelle ont été transmis aux procureurs de la Direction des poursuites criminelles et pénales dans tout le Québec. De cette masse de dossiers, les procureurs ont autorisé le dépôt d’accusations criminelles dans 71 % des cas. Cela laisse évidemment 29 % de dossiers non autorisés. Ce n’est pas rien. Mais il faut savoir que dans l’ensemble des dossiers transmis par les corps de police du Québec aux procureurs pour décider si une accusation doit être portée, 33 % ne font pas l’objet d’une autorisation.

Autrement dit, les dossiers de violence sexuelle sont plus susceptibles de donner lieu à une accusation de la cour criminelle. Ces crimes sont pourtant réputés plus difficiles, parce que généralement, la preuve repose presque uniquement sur la parole de la plaignante ou du plaignant.

Néanmoins, ils sont retenus davantage que la moyenne des plaintes à la police.

Il faut toujours manipuler avec soin les statistiques judiciaires (quand on a la chance d’en avoir), mais dans ce cas-ci, on part d’une source commune : le DPCP.

Ça laisse tout de même les plaintes de milliers de victimes sans suite. Et comme on l’a vu dans ce dossier, tristement, les choses ne sont pas toujours bien faites, bien dites, bien justifiées, bien expliquées. Les procureurs et les policiers n’ont pas tous eu A+ en empathie ou en jugement.

Mais il me semble important de souligner deux ou trois choses fondamentales.

Premièrement, un bon système de justice n’est pas un système où 100 % des plaintes à la police donnent lieu à une accusation criminelle. Une analyse et un filtrage de la preuve doivent être faits par les policiers et les procureurs.

Deuxièmement, donc, le fait qu’une accusation criminelle n’est pas déposée ne signifie pas que le procureur ne « croit pas » une victime. Ça ne veut pas dire non plus qu’aucun crime n’a été commis. Ça veut dire que, à son avis, il n’y a pas de perspective raisonnable de condamnation. Les risques d’acquittement sont trop élevés, en somme. On ne rend service à personne en déposant une accusation vouée à l’échec.

Troisièmement, un système qui retiendrait 100 % des plaintes à la police, quel que soit le crime, n’aurait pas la « note » parfaite : il serait extrêmement dangereux. La porte serait grande ouverte aux erreurs judiciaires et à toutes les instrumentalisations imaginables. Quel que soit le crime, la très grande majorité des plaintes à la police sont faites de bonne foi, bien entendu. Ça ne veut pas dire qu’on peut toujours avoir assez de preuves.

Sans compter que, soit par erreur, soit par mauvais jugement ou malhonnêteté, il y a aussi des plaintes mal fondées pour tous les crimes.

Ça n’en est pas moins frustrant pour les victimes de voir leur dossier non retenu. Le jugement de la police, comme celui des procureurs, n’est pas infaillible, évidemment.

Il me semble tout de même important de noter les progrès accomplis sous l’actuel gouvernement de la CAQ. D’abord, un comité « transpartisan » a créé une commission pour tenter d’améliorer le traitement des plaintes d’agression sexuelle. Cela a donné lieu à Rebâtir la confiance2, un rapport qui a été mis en application en bonne partie : meilleur accueil des victimes, meilleure formation des gens du système, meilleures interventions. De l’avis même des auteures, des pas importants ont été faits depuis, et un sérieux redressement a été donné.

Rien n’est parfait, évidemment, et les témoignages de victimes déçues ne manquent pas. Mais il faut voir d’où l’on partait pour réaliser à quel point la situation a évolué.

Tout en continuant à faire progresser le système, il faut aussi admettre que toute la violence sexuelle ne peut pas être gérée, punie, guérie par ce qu’on appelle la justice. Pas seulement celle des cours, en tout cas.

Un des passages les moins discutés du très bon (et très beau) livre récent de Léa Clermont-Dion3 concerne la « justice réparatrice », qui fait sortir les cas de la justice traditionnelle, pour trouver des formes de réparation – quand c’est possible, quand ça s’y prête, car évidemment cela suppose un dialogue et une participation de l’auteur des violences. C’est une des autres voies qui existent. Car la justice, si elle doit chercher à mieux faire perpétuellement, ne pourra jamais suffire à la tâche.

1. Lisez le dossier « A-t-on donné trop d’espoir aux victimes ? » 2. Consultez le rapport Rebâtir la confiance

3. Porter plainte, éditions du Cheval d’août