À 23 ans, Christopher Lavoie avait la vie devant lui. Dans une opération de sauvetage risquée, lundi, le jeune pompier volontaire a été emporté par les flots déchaînés de la rivière du Gouffre, dans la région de Charlevoix. Dans Le Journal de Montréal, son père dévasté accuse : « À quoi s’attendaient-ils ? Ils ont tué mon fils. » Christopher n’était pas prêt. Il ne savait même pas nager. On aurait dû le savoir.

Il est trop tôt pour conclure que des erreurs ont été commises. Une enquête dira si on a vraiment envoyé à la mort le jeune pompier et son collègue de 55 ans, Régis Lavoie, en les laissant s’embarquer sur une rivière torrentielle.

Mais il n’est malheureusement pas trop tôt pour dire qu’il y aura d’autres tragédies. D’autres villes coupées en deux. D’autres maisons emportées par les flots. D’autres morts.

Et, face au déchaînement de la nature, on se demandera : à quoi s’attendait-on ? On n’était pas prêt.

On aurait dû savoir.

Les climatosceptiques ont été confondus. Le réchauffement est commencé. Le train est en marche. On peut freiner sa course, mais même avec le meilleur plan vert, on n’arrivera pas à faire marche arrière.

Même si on éliminait en un claquement de doigts toutes les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde, il serait trop tard. Le carbone accumulé dans l’atmosphère réchauffera la planète pendant au moins un siècle.

J’ai l’air rabat-joie, comme ça, mais je ne fais que répéter ce que les experts en climatologie se tuent à nous dire depuis des années.

On ne s’en sortira pas : les bulletins météo annonceront de plus en plus de vagues de chaleur et de pluies torrentielles. La tempête du siècle deviendra la tempête de l’année. Des routes s’affaisseront. Des écosystèmes seront bouleversés. Des gens crèveront de chaleur, littéralement.

Devant l’inévitable, il faut non seulement réduire nos émissions, mais aussi changer nos façons de faire, de penser, de construire. Il faut s’adapter. Ça presse.

On n’est pas prêt. On consacre des milliards à la lutte contre les GES – et c’est excellent –, mais on tarde à accorder aux mesures d’adaptation toute l’attention qu’elles méritent, elles aussi.

Les villes doivent repenser les rues asphaltées où l’eau ruisselle et s’accumule. Creuser des égouts plus performants. Réduire les îlots de chaleur. Déplacer des routes, voire des quartiers entiers. Enfouir les fils électriques…

Tout ça coûtera cher. Deux milliards de dollars par an, pour les cinq prochaines années, selon les calculs de l’Union des municipalités du Québec.

Dans son plan budgétaire, le gouvernement n’accorde pourtant que 650 millions de dollars à l’adaptation aux changements climatiques. Ça ne répondra qu’à une fraction des besoins.

François Legault promet que « des centaines de millions » supplémentaires seront bientôt annoncés. Le premier ministre ferme toutefois la porte au « pacte vert » de deux milliards annuels, sur cinq ans, réclamé par les villes. Dix milliards, donc, au total.

L’argent ne pousse pas dans les arbres, fait-il valoir. Le fardeau fiscal des contribuables est déjà lourd ; le gouvernement ne peut l’alourdir davantage pour permettre aux municipalités de s’adapter aux changements climatiques.

M. Legault semble moins s’inquiéter pour les poches des contribuables lorsqu’il s’agit de défendre des projets plus emballants. Pourquoi faudrait-il absolument hausser les impôts pour atteindre la résilience climatique ? Le gouvernement ne pourrait-il pas réviser ses priorités budgétaires ?

Et si on utilisait les dix milliards que le gouvernement comptait injecter – sans hausse d’impôt – dans un certain projet pharaonique ? Je lance l’idée, comme ça…

Parlant de gros sous : ça va coûter cher, si on ne fait rien. Beaucoup plus cher.

« Diverses études révèlent que chaque dollar investi en adaptation, au-delà des vies préservées, permet d’éviter en moyenne entre 13 et 15 dollars en dommages directs résultant de sinistres et en dommages indirects pour l’économie », lit-on dans un rapport déposé en avril par la commissaire au développement durable, Janique Lambert1.

Selon le rapport, Québec n’a pourtant pas de stratégie globale pour se prémunir contre les coûteux dommages que provoquera l’érosion côtière, a rapporté mon collègue Charles Lecavalier2. Mais qu’importe : on continue à construire des routes et des bâtiments dans les zones à risque…

Le ministère de l’Environnement, le ministère des Transports, le ministère de la Sécurité publique… Personne n’a de plan digne de ce nom. Comme si tout le monde croisait les doigts, les yeux fermés, en espérant que ça tienne. Mais ça ne tiendra pas.

Plus on attend, plus on en paiera le prix. Et pas seulement en argent. En vies humaines, aussi.

Mercredi, François Legault s’est rendu sur le terrain, à Baie-Saint-Paul, pour constater les dégâts. Il a annoncé de l’aide aux sinistrés pour se reloger. On peut s’attendre à un peu de résistance.

Certains voudront rester, malgré le risque de voir leur maison inondée à nouveau. M. Legault a prévenu que « les contribuables ne peuvent pas payer deux fois, trois fois, quatre fois pour rénover et rebâtir des maisons ».

Il a raison, bien sûr. Mais il ne faut plus attendre que cède une digue pour réfléchir à ces questions. Il faut donner dès maintenant aux municipalités les moyens de se préparer à la prochaine catastrophe climatique.

Sans quoi François Legault risque de faire beaucoup, beaucoup d’autres virées sur le terrain pour constater les dégâts. Et chaque fois, on se dira : on n’était pas prêt. On aurait dû savoir.

1. Consultez le rapport du commissaire au développement durable 2. Lisez l’article « Érosion côtière : toujours possible de construire dans des zones à risque, déplore un rapport »