(Québec) Québec n’a pas de stratégie globale pour se prémunir contre les risques liés à l’érosion et à la submersion côtières. Sans mesure d’adaptation, les dommages causés pourraient atteindre 1,5 milliard d’ici 2065, et pourtant, il est toujours possible de construire des routes et des bâtiments dans des zones à risque, déplore la Commissaire au développement durable.

La commissaire Janique Lambert a déposé un rapport décapant sur la stratégie du gouvernement Legault pour se préparer à l’érosion côtière et aux tempêtes qui frapperont de plus en plus souvent le littoral de l’est du Québec.

Depuis 2020, le ministère de l’Environnement s’est vu confier la responsabilité de conseiller le gouvernement en matière de lutte contre les changements climatiques et d’en assurer la gouvernance intégrée. Or, il n’aura pas de « plan de gestion intégrée » d’adaptation aux risques avant 2027.

Pendant ce temps, les ministères des Transports (MTMD) et de la Sécurité publique (MSP) naviguent à vue. Aux Transports, on se soucie davantage de réparer les dégâts des tempêtes que de s’y préparer. « Près de 80 % des dépenses du ministère en lien avec l’érosion et la submersion côtières pour le réseau routier sous sa responsabilité ont été effectuées à la suite de dommages subis ».

Or, réparer coûte cher, et les tempêtes seront de plus en plus nombreuses. La Commissaire estime que « les dommages causés au réseau routier du MTMD lors des tempêtes de décembre 2010 et de septembre 2019 qui ont frappé la région maritime située à l’est de Québec auront coûté à terme plus de 110 millions de dollars ».

Il vaut mieux déplacer une route à risque plutôt que d’attendre qu’elle soit rongée par les vagues pour faire des travaux d’urgence, par exemple. Mais « la planification de ses investissements en zone côtière n’est pas basée sur un portrait complet des risques posés », dit-elle.

Diverses études révèlent que chaque dollar investi en adaptation, au-delà des vies préservées, permet d’éviter en moyenne entre 13 et 15 dollars en dommages directs résultant de sinistres et en dommages indirects pour l’économie.

Extrait du rapport de la Commissaire au développement durable

Pas de cartes des risques pour guider les villes

De son côté, le ministère de la Sécurité publique « n’a pas de planification à long terme des projets d’adaptation », et les connaissances scientifiques sont éparses. « Il n’existe pas, à ce jour, de bilan permettant de mettre en commun les connaissances acquises relatives aux milieux et aux aléas côtiers ni de plan d’acquisition des connaissances qui intègre les besoins prioritaires afin de gérer les risques pour les personnes, les infrastructures, les écosystèmes et l’économie », note-t-elle.

Le MSP a pourtant une mission cruciale : informer les élus locaux des risques auxquels ils font face. Il est responsable, par exemple, de produire des cartes de « zones de contraintes relatives à l’érosion côtière » pour les MRC qui doivent l’intégrer à leur schéma d’aménagement.

Ces cartes déterminent des zones à l’intérieur desquelles certaines mesures préventives décrites au cadre normatif doivent s’appliquer, comme l’interdiction de construire de nouveaux bâtiments.

Extrait du rapport de la Commissaire au développement durable

Et il ne fait pas son travail.

  • 13 des 24 MRC exposées à l’érosion côtière n’avaient toujours pas de cartes.
  • 11 des 24 MRC avaient des cartes, mais 4 d’entre elles dataient de plus de 10 ans, bien qu’il soit recommandé de les mettre à jour régulièrement, notamment dans un contexte de changements climatiques.
  • Aucune carte de zones de contraintes relatives à la submersion côtière n’a été produite à ce jour.

Le ministère de la Sécurité publique a rétorqué qu’il prévoit produire des cartes de zones de contraintes relatives à l’érosion et à la submersion côtières pour Sept-Îles d’ici 2024 et pour Chandler, Maria et les Îles-de-la-Madeleine d’ici 2026. Il jugeait pourtant déjà opportun de le faire en 2013, à la suite de sinistres importants en 2007 et 2010.

Le développement peut se poursuivre

L’absence de ces cartes a des conséquences réelles, affirme la commissaire. « L’absence de cartes de zones de contraintes pour l’érosion et la submersion côtières risque d’accroître l’exposition des bâtiments et des infrastructures à ces aléas pour les années à venir, étant donné que le développement de bâtiments et d’infrastructures peut se poursuivre dans des zones à risque », déplore-t-elle.

Elle rappelle que « si aucune mesure d’adaptation n’est mise en place, des dommages causés par l’érosion d’ici 2065 pourraient représenter des coûts potentiels de 1,5 milliard de dollars selon le Plan pour une économie verte 2030 ».

Questionné à ce sujet par la députée de Québec solidaire Alejandra Zaga Mendez, le ministre de l’Environnemetn Benoît Charette a reconnu qu’il n’était pas capable de donner une estimation de ce que coûterait l’adaptation aux changements climatiques pour l’ensemble du gouvernement du Québec. « Il y a trop de missions différentes. Je pourrais additionner ce que chacun des ministères peut anticiper, mais je ne peux pas vous donner un chiffre comme ça à ce moment-ci […] Il y a des évaluations qui sont faites par ministères, par missions », a-t-il dit, en ajoutant qu’il ne pouvait pas « à ce moment-ci » faire faire une adition de ce que chacun des ministères prévoit de son côté.

Mme Zaga-Mendez a rétorqué que c’est précisément ce qui lui était reproché par la Commissaire.

CAPSULES

Les risques

Érosion côtière

Elle peut être causée par les vagues, les courants marins, les précipitations, le vent, les glaces, la hausse du niveau des eaux et la diminution du couvert de glace. Les côtes sont moins bien protégées par les glaces et sont plus vulnérables à l’assaut des vagues qui surviennent en hiver. Des facteurs humains, tels que la destruction de la végétation naturelle et l’artificialisation des rives (remblais, murets, etc.), peuvent également être à l’origine de l’érosion côtière.

Source : Commissaire au développement durable

Submersion côtière

Elle peut se produire graduellement ou de façon soudaine, comme à la suite d’une vague de tempête. Elle devrait augmenter sur les basses côtes, dans l’estuaire maritime et le golfe du Saint-Laurent au cours des prochaines années en raison de la montée du niveau des eaux, et ce, suivant l’augmentation de la fréquence, de l’intensité et de la durée des évènements engendrés par les changements climatiques.

Source : Commissaire au développement durable

Des routes en danger

En zone côtière, le ministère des Transports est responsable de près de :

  • 2 775 km de routes situées à moins de 250 mètres de la côte, dont plusieurs tronçons des routes 132, 138 et 199
  • Près de 100 km de voies ferrées.

La protection de ces routes contre les risques liés à l’érosion et à la submersion côtières est primordiale, notamment pour garantir l’accessibilité aux communautés situées à l’est de Québec et leur desserte en situation d’urgence.

Source : Commissaire au développement durable

Coincement côtier

Les écosystèmes côtiers s’ajustent à la hausse du niveau des eaux en migrant vers les terres. Des contraintes naturelles, comme des falaises, ou artificielles, comme des routes ou des murets, peuvent cependant freiner cette dynamique naturelle. Le commissaire rapporte que 57 % des écosystèmes côtiers de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent ont un « faible potentiel de migration », soit « moins de 30 mètres ». Une « réflexion sur les mesures de gestion et de conservation » est nécessaire, dit-elle.

Milieux humides sous la loupe

La commissaire s’est également penchée sur la stratégie de conservation des milieux humides et hydriques du ministère de l’Environnement. Malgré une loi adoptée en 2017, plusieurs lacunes mettent à risque l’objectif « d’aucune perte nette ». La Presse avait révélé en février qu’à ce jour, seulement 3 % d’une enveloppe de 113 millions de dollars a été dépensé pour restaurer des milieux humides. Le ministre Benoit Charette a annoncé une révision du programme. Mais la Commissaire précise que son ministère :

  • N’utilise pas de manière efficace les mécanismes prévus pour assurer la protection et l’utilisation durable des milieux humides et hydriques ;
  • N’a pas l’assurance que les mesures pour réduire au minimum l’impact des projets sur ces milieux sont appliquées ;
  • Ne gère pas les programmes de restauration et de création de ces milieux de manière à compenser efficacement les pertes subies.