C’est une ancienne boursière de la Fondation Trudeau qui raconte l’anecdote. La scène se passe en marge d’une conférence universitaire. On lui présente un visage familier : un ancien boursier, comme elle. « Ah, vous vous connaissez ? », leur demande-t-on. Malaise. Elle hésite avant de répondre : « Euh, bien… On le dit tout bas maintenant, mais on s’est connus à la Fondation Trudeau… »

Il n’y a pas si longtemps, une bourse d’études accordée par la Fondation Trudeau, c’était prestigieux. Les universitaires étaient fiers d’en faire mention dans leur curriculum vitæ.

C’est en train de se transformer en embarras.

« On ne devient pas pestiférés, mais c’est très malheureux », déplore l’ancienne boursière, qui a requis l’anonymat pour ne pas nuire à sa carrière. « C’est une bourse d’études formidable, qui permet de financer la recherche sur le terrain, souvent à l’étranger, insiste-t-elle. C’est vraiment très précieux pour quelqu’un qui veut faire de la recherche universitaire. »

Mais les manchettes des dernières semaines ne font pas que ternir la réputation de la Fondation Trudeau : elles éclaboussent aussi, par la bande, ses boursiers, présents et passés.

L’affaire va désormais au-delà du « don chinois ». Lundi, La Presse révélait1 qu’en 2016, la Fondation Trudeau avait participé à une table ronde avec une brochette de hauts fonctionnaires, à deux pas du bureau de Justin Trudeau.

Le premier ministre soutient qu’il n’en savait rien. Depuis trois semaines, il répète que, dès son accession à la tête du Parti libéral du Canada, en 2013, il a coupé tout lien avec la Fondation créée pour honorer la mémoire de son père.

N’empêche : les apparences sont importantes en politique. Et cette table ronde, organisée avec le concours du Bureau du Conseil privé – le ministère du premier ministre –, a toutes les apparences d’une inconvenante proximité.

Ce n’est pas un hasard si les intellectuels de haut vol qui ont longtemps fait briller la Fondation quittent le navire en masse. Un fellow a confié à La Presse avoir eu l’impression de s’être fait « enfirouaper » : finalement, cette fondation n’était pas aussi non partisane qu’on lui avait laissé croire…

Il est temps de mettre un terme au supplice et d’arracher le sparadrap, une fois pour toutes.

Il faut tirer la plogue sur la Fondation Trudeau.

Il est d’autant plus temps de mettre fin aux dégâts que cet organisme a été créé avec l’argent des contribuables. Contrairement aux programmes de bourses financés par de riches mécènes, celui-ci ne provient pas d’un héritage légué par Pierre Elliott Trudeau après sa mort.

En 2002, le gouvernement libéral de Jean Chrétien a plutôt versé 125 millions de dollars à la Fondation Trudeau. Ces deniers publics devaient servir à gérer le Fonds pour l’avancement des sciences humaines et humanités.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancien premier ministre du Canada Jean Chrétien en mars dernier. En 2002, le gouvernement libéral de M. Chrétien a versé 125 millions de dollars en derniers pblics à la Fondation Trudeau.

Et c’est à cela qu’ils ont servi, n’en doutons pas. La Fondation Trudeau est considérée comme un carrefour giratoire d’intellectuels, permettant le choc des idées et regroupant certains des plus brillants esprits du pays.

Cela dit, la liste de ses membres – grands manitous qui ont le pouvoir de faire et défaire son conseil d’administration – a toujours plus ou moins ressemblé à un catalogue des amis du Parti libéral du Canada...

Et puis, l’organisme a beau se déclarer « indépendant et sans affiliation politique », son œuvre cherche tout de même à promouvoir les idées et les valeurs de Pierre Elliott Trudeau.

La réalité, c’est que la Fondation Trudeau n’a jamais été vraiment apolitique. Elle n’a jamais compté un administrateur favorable à la souveraineté du Québec, par exemple. Depuis le début, sa gouvernance est demeurée une sorte de club privé libéral, à mille lieues de la réalité des boursiers.

La question se pose depuis le début : ne serait-ce pas à une entité gouvernementale, non identifiée à un parti politique, que devrait revenir le rôle de distribuer des bourses d’études financées par des fonds publics ?

La question se pose avec encore plus d’acuité depuis l’élection de Justin Trudeau à la tête du Parti libéral du Canada. Depuis l’affaire du « don chinois », elle est assourdissante.

Le premier ministre peut bien jurer qu’une muraille de Chine le sépare de la Fondation, ce n’est pas ce que semblent croire les donateurs – et pas seulement Pékin – qui font pleuvoir les dollars sur l’organisme depuis son accession au pouvoir.

L’idée n’est pas de fermer la Fondation Trudeau et de jeter bêtement la clé dans le fleuve Saint-Laurent. On pourrait transférer la gestion du Fonds à un organisme subventionnaire fédéral, comme le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), suggère l’ancienne boursière.

« L’impartialité mais aussi l’apparence d’impartialité seraient garanties, ce qui importe pour les boursiers qui se destinent souvent à une carrière universitaire, mais aussi pour la communauté universitaire et la recherche », souligne-t-elle.

Il sera toujours possible de rendre hommage à l’ancien premier ministre autrement. Avec une bourse à son nom, gérée par le CRSH, par exemple. Mais pas avec cette fondation désertée, décrédibilisée et embourbée dans une crise de légitimité dont elle ne se remettra pas.

1. Lisez l’article « Fondation Trudeau : une réunion dans le QG du premier ministre »