Malgré certains désaccords, les bouddhistes et les hindouistes s’entendent sur l’existence du karma. Selon cette loi naturelle, les êtres finiraient toujours par être rattrapés par leurs actions faites dans une vie antérieure.

Pour Éric Caire, le boomerang part de moins loin. Si des électeurs de La Peltrie réclament sa démission, c’est à cause de sa désormais célèbre promesse faite en 2018 de démissionner si le troisième lien Québec-Lévis pour voitures ne se réalisait pas. Et si ses adversaires se délectent du spectacle, c’est parce que M. Caire était dans l’opposition le député le plus impitoyable. À la moindre apparence de petite faute éthique, il mordait jusqu’au sang.

Dans l’opposition, M. Caire voulait créer un mécanisme de « rappel » des députés – si un élu trahit ses électeurs, un vote sur sa destitution est tenu après qu’on a recueilli assez de signatures, à partir de la deuxième année d’un mandat.

N’empêche que M. Caire ne mérite pas d’être au cœur de l’attention depuis l’abandon du troisième lien. Cette décision n’est pas la sienne. Il n’en a même pas été informé avant la fuite dans les médias. Son principal tort : avoir cru ce que son chef disait.

Il n’est pas le seul. En 2022, tous les candidats caquistes de la région ont juré sur cette bible caquiste.

Mais le karma qui rattrape M. Caire fait l’affaire de tout le monde.

Pour François Legault, il s’agit d’un précieux paratonnerre.

En politique, la règle veut qu’on protège le chef en l’éloignant des controverses. Certes, le premier ministre a rappelé mardi qu’il s’agissait de sa décision, mais il a quand même laissé M. Caire encaisser la foudre des électeurs avant de parler.

Si on scrute les déclarations passées des députés, cela devrait aussi valoir pour M. Legault.

Mardi, il a soutenu avoir renoncé au tunnel routier le 5 avril après avoir vu les nouvelles données d’achalandage. Or, à la fin de mars, plusieurs prédisaient déjà la mort du projet1. Et comme l’a rapporté mon collègue Tommy Chouinard, le premier ministre lui-même refusait soudainement de reprendre sa promesse2. Pourtant, en campagne électorale, il était catégorique : le projet se ferait, peu importe le coût, et peu importe le contenu des études.

Pour Éric Duhaime aussi, M. Caire est un coupable utile.

Depuis qu’il dirige le Parti conservateur, M. Duhaime donne l’impression de vouloir recruter n’importe quel élu pour être représenté à l’Assemblée nationale. Tellement que lorsque Marie-Louise Tardif a été retirée du caucus caquiste à cause d’allégations de menaces proférées contre une ex-employée, on s’est dit : tiens, voilà une personne qui intéressera les conservateurs…

M. Duhaime veut corriger cette image en refusant d’accueillir M. Caire. Le chef conservateur l’a toutefois fait un peu trop tard – le député avait déjà assuré qu’il resterait à la CAQ. Mais ce théâtre était malgré tout bénéfique pour M. Duhaime. Il essayait de décrédibiliser un des visages les plus connus de la droite à Québec. Une façon de repousser la CAQ vers le centre afin de mieux s’en démarquer.

La crise interne qui secoue la CAQ aide à comprendre qui y décide, et comment.

M. Legault est moins obsédé par la réalisation de ses promesses qu’on ne le prétend. Quand certaines pèsent trop lourd, il n’hésite pas à les larguer. L’argumentaire s’adapte ensuite selon les circonstances.

Pour la réforme du mode de scrutin, il disait écouter le peuple qui n’en voudrait pas. Cette idée excite seulement les « intellectuels », justifiait-il. Pour le troisième lien routier, c’est le contraire.

Au début, M. Legault disait écouter les citoyens de la Rive-Sud. Il ignorait le constat unanime des experts : le problème de la congestion n’est pas assez documenté et s’il existe, la solution ne le réglerait pas à long terme, en plus d’être compliquée techniquement à réaliser et d’être fort probablement ruineuse.

Le gouvernement Legault vient de voir la lumière. Il reprend soudainement les objectifs des urbanistes et des autres intellectuels qu’il ignorait. Il dit même vouloir freiner l’étalement urbain et l’auto solo et réduire les émissions de gaz à effet de serre en misant sur le transport collectif.

Cette fois, le prétendu « vrai monde » a perdu.

Comme d’habitude, la décision est venue du sommet de la pyramide. M. Legault tranche avec sa garde rapprochée. Le reste de l’équipe apprend la nouvelle plus tard. Elle est reléguée au rôle d’agente de communication, et cela commence à causer des frictions à l’interne.

La CAQ domine encore dans les sondages, et sa popularité cimente les troupes. Mais avec ses 89 députés, cet avantage vient avec un inconvénient. Plusieurs ont l’impression d’être ignorés et de ne pas avoir reçu la promotion méritée.

La gestion du caucus est cruciale pour un chef. C’était la force de Jean Charest et la faiblesse de Philippe Couillard. M. Legault a quant à lui eu des hauts et des bas.

Durant la pandémie, plusieurs députés se sentaient tenus à l’écart. M. Legault a corrigé le tir, et tout le monde en a profité. Les membres de son équipe étaient les meilleurs informateurs pour tâter le pouls de la population.

Avec le troisième lien, c’est plus compliqué. Le retour du véritable gros bon sens entre en collision frontale avec les rêves que M. Legault a semés. Pour certains, le réveil a un goût de métal.

Quand Éric Caire reçoit plus que sa part de tomates, cela ne doit pas trop lui déplaire. Mais plus les députés sont critiqués pour des décisions qu’ils n’ont pas prises et qu’ils ne comprennent pas, plus le ciment du pouvoir menace de se fendiller à l’interne. Et pour ces fissures au sol, les paratonnerres perdent leur utilité.

1. J’ai commis cette chronique sur la rumeur de la mort du troisième lien, mais d’autres observateurs en avaient parlé avant moi.

1. Lisez « Le troisième lien est-il en train de mourir ? » 2. Lisez « Un tunnel réservé au transport collectif, tranche le gouvernement Legault »