Jeudi, en lisant ma Presse, encore groggy par une nuit de sommeil réparatrice, j’ai soudainement éprouvé une décharge d’énergie pas possible : je me suis demandé si quelqu’un avait glissé du Red Bull dans mon café.

Ou du napalm.

J’ai rapidement découvert la cause de ce choc : c’était la nouvelle que je lisais à cet instant précis⁠1, celle sur le père de la « fillette de Granby » qui plaide pour sa libération conditionnelle après… un peu plus d’une année de prison.

Le père (qu’on ne peut identifier en vertu des lois sur la protection de la jeunesse qui protègent l’identité de sa fille défunte) a eu un comportement exemplaire en prison. Il a été condamné à quatre ans de prison en janvier 2022 après avoir plaidé coupable à une accusation réduite de séquestration.

Pour avoir affamé, battu, séquestré et (ultimement) emballé sa fille dans un sarcophage de ruban gommé avec l’assistance enthousiaste de sa conjointe (ce qui a mené à sa mort), devinez ce que le père plaide aujourd’hui devant la Commission des libérations conditionnelles pour expliquer sa participation à la spirale de brutalité qui a conduit au meurtre de sa fille ?

Tenez-vous bien : « Je n’ai pas réfléchi. »

Ce gars-là est une authentique crapule depuis toujours. Il est là, contrit, devant les commissaires, se pose en homme réformé. Il travaille sur lui. Il a appris. Trouvez-moi des kleenex, je vais pleurer…

La mère du père tortionnaire s’oppose à ce que son fils soit remis en liberté si tôt.

Peut-on l’écouter, la grand-mère ?

Pour une fois, je veux dire ?

On va récapituler pour ceux qui auraient oublié quelques détails cruciaux de la saga de la petite fille de Granby afin de comprendre comment le système a aidé le père à continuer à mal s’occuper de sa fille, avec des conséquences dramatiques.

La petite est née de parents inaptes⁠2. Enceinte, sa mère biologique fessait sur son propre ventre. Légèrement déficiente intellectuelle, plombée par de graves problèmes de santé mentale, consommation : elle a perdu la garde de sa fille dès la naissance…

Pour que le bébé soit confié à son père.

Un autre beau spécimen d’inaptitude, toujours gelé. Et qui – tenez-vous bien, encore ! – refusait de se lever la nuit quand le poupon avait faim. Son raisonnement : elle va devoir apprendre que la nuit, c’est fait pour dormir.

C’est la mère du père qui a fait un signalement à la DPJ. Elle héritera de la petite, en vertu de placements temporaires de six mois, renouvelables. De 2012 à 2015, l’enfant habitera chez sa grand-mère.

Chez sa grand-mère, la petite était bien. Elle habitait un foyer structuré. Elle était aimée. Elle « fonctionnait » bien. Il n’y avait aucune raison de la déraciner pour la sortir de là.

Le système a trouvé une raison : la Loi sur la protection de la jeunesse affirmait la primauté des liens du sang. Résultat : le système donnait toutes les chances aux parents, même les plus inaptes, de se racheter. Même des déchets comme le père de la fillette de Granby.

Le père a lancé les procédures pour ravoir la garde de sa fille. Il s’était posé en homme réformé. Il avait travaillé sur lui. Il avait appris…

Je vous résume le biais du système envers lui : chaque petit effort était accueilli par les intervenantes de la DPJ et par les juges comme un exploit in-croy-able. C’est tout juste si ces gens-là ne faisaient pas la vague pour féliciter le père quand il prenait une douche.

Une intervenante s’est même émue de ce que le père avait cessé de consommer de la dope depuis… trois semaines !

Pour la grand-mère, c’était tout le contraire. Le système traitait ses objections au retour du père qu’elle connaissait si bien dans la vie de sa petite-fille comme une manifestation absolument incompréhensible de méchanceté paranoïaque face à son fils réformé.

Je cite une intervenante qui plaidait pour qu’on arrache la petite à son milieu aimant pour la transplanter dans un autre milieu, un milieu qui allait la tuer : le système d’alarme de Madame est défaillant, elle voit des dangers partout…

On ne l’a pas écoutée, la grand-mère. Et la fillette en est morte.

Et pour son rôle dans la mort de sa propre fille, le père s’en est tiré – parce qu’il a plaidé coupable à des accusations TRÈS réduites – avec quatre ans de prison, avec seulement quatre ans de prison…

Et il a le droit de demander une libération conditionnelle après un an et des poussières, se présentant comme un homme changé, réformé.

L’aura-t-il, sa libération ? Réponse dans deux semaines.

Mais je rappelle qu’il a déjà joué ce rôle-là il n’y a pas dix ans, celui du gars qui n’est plus la vidange qu’il était, au Tribunal de la jeunesse. Ça avait merveilleusement fonctionné : on le comprend de remettre le costume de l’homme contrit qui a appris de ses erreurs devant les commissaires aux libérations conditionnelles…

Qu’il soit libéré ou non dans deux semaines, pensez à ça : quatre ans de prison pour avoir joué un rôle central dans la mort de sa fille. Juste quatre ans. Me semble que le système fait de bien sinistres calculs qui effacent parfois la valeur des vies arrachées.

1. Lisez L’article « “Je n’ai pas réfléchi”, explique le père de la fillette » 2. Lisez la chronique « Des dangers partout »