Si vous avez eu la chance d’assister à un match du CH au Centre Bell cette saison, vous avez probablement aperçu le nom Harvey-Pinard affiché en grosses lettres sur l’écran géant.

Le nom apparaît parfois quand un but a été compté ou quand une passe a permis au Canadien de marquer. Mais avez-vous noté que le nom Harvey-Pinard s’affiche aussi, parfois… à côté d’une photo de femme ?

Car oui, il y a deux Harvey-Pinard.

Il y a Rafaël, le joueur, qu’on apprend collectivement à connaître à la vitesse grand V ces temps-ci, alors que ses prouesses sur la glace en font déjà un chouchou des amateurs.

Et il y a Katherine, la journaliste, qui complète à merveille l’équipe de couverture du hockey de La Presse.

Un conflit d’intérêts, vous dites ?

Avouez qu’avec un « nom à penture » comme le leur, ce serait bien difficile pour nous de faire semblant que ces deux passionnés de hockey ne se connaissent pas ! Surtout quand nous avons des publicités de La Presse qui s’affichent un peu partout au Centre Bell avec nom et photo de nos journalistes.

D’ailleurs, la chose n’a pas échappé à Jesperi Kotkaniemi, qui a lui-même interpellé Katherine après le match entre le CH et la Caroline, le 7 mars dernier. Appelé à commenter son but victorieux, l’ancien joueur de la Sainte-Flanelle s’est planté devant les journalistes et a préféré lever le doigt pour poser une question plutôt que d’y répondre.

« Est-ce ton visage que j’ai vu sur le tableau afficheur tantôt ? a-t-il lancé en regardant Katherine dans les yeux. Est-ce que Rafaël est ton frère ? »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Rafaël Harvey-Pinard

L’anecdote fait sourire et montre à quel point le lien familial entre Rafaël et Katherine est évident. Et il l’était aussi pour nous, en 2021, lorsque nous avons embauché cette dernière à La Presse, alors que son talentueux frère évoluait au sein du Rocket de Laval.

La situation nous a obligés à réfléchir à ce cas de figure unique, auquel nous avons décidé d’appliquer des règles tout aussi uniques.

Les règles d’éthique sont les mêmes pour tous les reporters de La Presse, qu’ils couvrent les sports, les affaires ou la politique. Notre guide des normes et pratiques stipule que les journalistes « doivent éviter tout conflit d’intérêts réel ou potentiel ou l’apparence même de ce conflit d’intérêts de façon à préserver en tout temps la confiance du public ».

En partant de cet énoncé de principe clair, nous nous sommes posé la question : peut-on trouver une manière de baliser le travail de Katherine pour atténuer ou éliminer le risque de conflit ou d’apparence de conflit d’intérêts qui se pose depuis que son frère a été appelé par le CH ?

Nous ne savions pas où nous mènerait cette question. Mais nous avons décidé de nous la poser franchement, puisque la couverture du hockey professionnel, et du Canadien en particulier, a toujours été le rêve professionnel de Katherine. Il nous semblait injuste de lui refuser son affectation de prédilection parce que son frère avait maintenant la chance d’évoluer dans les ligues majeures.

Ajoutons à ça qu’elle est l’une des rares jeunes journalistes sportives féminines au Québec et la seule de l’équipe des Sports de La Presse.

C’est dans ce contexte que nous avons voulu tenter de concilier nos obligations et son aspiration.

La discussion s’est échelonnée sur plusieurs mois, à l’insu de Katherine, qu’on a bien sûr gardée hors de la réflexion.

Je vous dévoile aujourd’hui le résultat de cette réflexion, car le frère et la sœur Harvey-Pinard sont invités ensemble à La semaine des 4 Julie, mardi soir à 21 h à Noovo.

Conclusion, donc : oui, elle peut couvrir le Canadien… mais dans certaines situations seulement, en respectant certaines balises claires.

À la base, un principe fondamental : Katherine ne cite jamais, n’interviewe jamais son frère et n’écrit jamais sur lui. Point.

Aussi, elle ne s’implique jamais dans les initiatives du CH relatives aux familles des joueurs.

Mais que faire pour la couverture des matchs et entraînements ?

D’abord, elle peut couvrir les entraînements. Mais si d’aventure son frère est LE sujet du jour, elle est remplacée au pied levé. Et si c’est impossible, on publie simplement un texte de La Presse Canadienne.

Ensuite, il y a les matchs.

Ceux qui sont joués à domicile, pas de problème : nous affectons toujours deux reporters au Centre Bell. Katherine peut donc se joindre à la couverture, quitte à laisser son collègue écrire seul l’analyse et l’observation lorsque Rafaël en fait partie.

Par contre, elle ne peut pas se joindre aux matchs sur la route, nous affectons habituellement un seul journaliste. Pas question de la placer dans une situation où elle aurait à écrire sur son frère… ou à l’écarter de l’analyse pour les mêmes raisons.

L’objectif est donc de permettre à Katherine de faire ce qu’elle fait si bien : couvrir le hockey, mais sans qu’elle se place dans une situation qui pourrait être inconfortable, pour Rafaël, pour le CH, et pour elle, surtout.