Nouvelle guerre de pouvoir, conflit entre deux groupes du crime organisé montréalais ou règlement de comptes ponctuel. Bien malin qui peut, pour le moment, expliquer ce qui se cache derrière la tentative de meurtre contre Leonardo Rizzuto.

Depuis le spectaculaire évènement perpétré en plein jour mercredi, tant dans le milieu criminel que dans le milieu policier, les sources de La Presse se sont généralement dites surprises de cet attentat contre le fils cadet de l’ancien parrain de la mafia montréalaise.

Leonardo Rizzuto n’est pas son père, Vito, qui a dirigé, d’une main de fer dans un gant de velours, la mafia durant au moins une dizaine d’années. Il a régné entre le milieu des années 1990 jusqu’à son arrestation en 2004 pour les meurtres de trois lieutenants rebelles du clan Bonanno commis à New York en 1981.

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Vito Rizzuto, lors de son extradition vers les États-Unis en août 2006, après son arrestation deux ans plus tôt

Sorti des geôles américaines à l’automne 2012, Vito Rizzuto est redevenu le parrain de la mafia au début de 2013, mais le crime organisé montréalais avait bien changé durant son absence. Il est mort de cause naturelle quelques mois plus tard.

Mais même s’il n’a plus le lustre d’antan, Rizzuto est toujours un nom influent dans la mafia montréalaise.

Le clan des Siciliens est encore, du moins pour le moment, le plus fort et le plus riche du crime organisé traditionnel italien proprement dit.

Leonardo Rizzuto est peut-être surtout maintenant le symbole d’une famille à qui certains voudraient indiquer que son règne est terminé. Une nouvelle guerre de pouvoir, donc. Mais Leonardo Rizzuto détient-il le pouvoir ? Tant dans le milieu criminel que dans le milieu policier, on nous dit que non.

À moins que l’attentat de mercredi soit la continuité et la suite logique des évènements de 2009-2010, alors que le fils aîné de Vito Rizzuto, celui qui aurait pu prendre sa relève, Nick Rizzuto, a été éliminé, suivi de son beau-frère et consigliere du clan, Paolo Renda, puis du père de Vito et ancien parrain, Nicolo Rizzuto.

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Nicolo Rizzuto, lors des funérailles de son petit-fils Nick, en février 2010, quelques mois avant qu’il ne soit lui-même assassiné.

C’est une hypothèse, peut-être un peu facile, que les enquêteurs regarderont tout de même assurément, mais il y en a d’autres.

Plus de chef

Depuis la mort naturelle de Vito Rizzuto en décembre 2013, il n’y a plus de parrain de la mafia.

Selon nos sources, personne, pas même Leonardo, ne voudrait de la grande chaise, car un chef devient une cible dans le contexte du crime organisé montréalais contemporain marqué périodiquement par des tensions.

Et depuis la mort du parrain, la structure de la mafia n’est plus pyramidale, mais cellulaire.

Non seulement la mafia n’est plus au sommet, mais on préfère aussi parler maintenant de « crime organisé montréalais », c’est-à-dire que des membres de toutes allégeances, mafia, motards ou gangs, dont certains sont plus influents, se mélangent et s’entraident dans un unique but commun : faire de l’argent.

Ces membres influents ont réussi, du moins depuis 2014, à maintenir une paix relative, à part quelques règlements de comptes sporadiques et une tentative de putsch avortée menée par les frères Scoppa, des Calabrais, en 2016.

Sauf que le fait qu’il n’y a plus de chef pour imposer le respect commence peut-être à se faire sentir.

Des mécontents

Depuis déjà des mois, des sources nous disent en effet que des membres influents du crime organisé en mènent trop large et commencent à faire des mécontents.

C’est peut-être dans ce contexte que Francesco Del Balso, ancien lieutenant du clan des Siciliens, arrêté et condamné dans la rafle antimafia historique Colisée, et maintenant proche de Hells Angels influents, a été victime dernièrement d’au moins une tentative de meurtre, dont l’une, spectaculaire, survenue près de chez lui, à Laval, en novembre dernier.

Aujourd’hui, le crime organisé montréalais est une véritable mosaïque d’individus qui proviennent de la mafia, des motards, des gangs et d’autres groupes, qui ne fonctionnent plus en silo, mais qui travaillent plutôt ensemble.

On peut retrouver, au sein d’un même groupe, des individus issus de toutes ces allégeances qui ont davantage d’affinités et de liens d’affaires.

Si le feu prend au sein de cette mosaïque d’individus et de groupes mélangés, s’étouffera-t-il de lui-même ou se transformera-t-il en brasier ?

Est-ce que l’enquête en cours autour de l’ancien tueur à gages Frédérick Silva, qui rend plusieurs membres du crime organisé nerveux, peut exacerber des conflits possibles et attiser des braises ardentes ?

Le prochain attentat, s’il y en a un, pourrait nous permettre de répondre à cette question. Mais le crime organisé n’a pas intérêt à se lancer dans un conflit d’envergure, car cela nuit aux affaires et braque les projecteurs de la police sur lui.

Mais si le nom Rizzuto n’impose plus le respect comme à son paroxysme, la famille et ses alliés ont encore de l’influence et des moyens, et nos sources s’attendent à ce que l’affront de mercredi ne demeure pas impuni.

Comme on le prévoit de façon cyclique depuis quelques décennies, le printemps pourrait être chaud.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.