Avant de parler de la mort de Jean René Junior Olivier, tué par la police de Repentigny en août 2021, je veux faire un détour par Salt Lake City.

C’est là que le sergent Dennis Tueller a inventé en 1983 la règle des 21 pieds. Cette règle est connue de tous les policiers en Amérique du Nord, dont une partie de la formation est inspirée par son « Tueller Drill » 1.

L’exercice de Tueller visait à mesurer la distance qu’un suspect fonçant sur un policier peut parcourir pendant que ledit policier dégaine son arme, vise et tire dans la poitrine dudit suspect.

Temps de réaction du policier moyen : 1,5 seconde.

Distance moyenne parcourue en 1,5 seconde par un adulte en santé, lors des expériences du sergent Tueller : 21 pieds (6,4 m).

Traduction : quand un suspect est à plus de 21 pieds d’un policier, celui-ci est dans une zone de relative sécurité.

Mais si le suspect entre dans la zone « sécuritaire » des 6,4 m, il est alors à 1,5 seconde du policier. J’ai expliqué cette règle en 2011 quand un policier de Montréal a abattu un autre homme en détresse armé d’un couteau, tuant aussi un passant2.

Le « Tueller Drill » est rapidement devenu parole d’évangile et interprété, bien souvent, comme suit : un suspect armé d’un couteau qui s’approche à moins de 21 pieds d’un policier doit être « neutralisé ».

C’est pourquoi les policiers nord-américains tirent sur des personnes qui tiennent un couteau, qu’il s’agisse de suspects d’actes criminels ou de gens en détresse psychiatrique.

Deux autres éléments de contexte, avant d’aller plus loin.

D’abord, ce n’est jamais « juste un couteau » pour un policier, c’est une arme létale, et ce, peu importe qui le tient, un voleur qui vient de braquer un dépanneur ou un homme en psychose.

Ensuite, les policiers ne tirent pas de coup de semonce, ils ne tirent pas « dans les jambes », ils ne tirent pas « pour désarmer » : quand ils tirent, c’est pour tuer, en vertu d’un danger estimé comme mortel pour eux ou pour autrui.

Jean René Junior Olivier n’était pas un criminel. Il était malade.

À 7 h 30, le 1er août 2021, la mère de M. Olivier a appelé le 911, alarmée par le comportement de son fils.

Jeudi, La Presse rapportait comment le drame a commencé : « [Marie-Mireille Bence] avait informé le répartiteur [du 911] que son fils ne dormait plus, voyait des gens qui n’existaient pas et était en possession d’un couteau dont il refusait de se départir. La dame disait craindre pour sa sécurité et celle de son fils. »3

Deux policiers arrivent à 7 h 45, puis deux autres. Les agents parlementent avec M. Olivier et tentent de le convaincre de déposer son couteau par terre. Un cinquième agent arrive. Il parlemente lui aussi avec M. Olivier.

Jean René Junior Olivier, lui, dépose son arme par terre…

Pour la reprendre immédiatement dans sa main.

Il répète ce manège à plusieurs reprises.

Les policiers se tiennent à distance.

À 8 h, Jean René Junior Olivier reprend son arme et s’élance vers les policiers, qui sont à environ cinq mètres de lui.

Les policiers tirent. M. Olivier s’écroule à un mètre des agents.

Immédiatement, des policiers présents commencent des manœuvres de réanimation sur M. Olivier. Sans succès.

Je cite le Directeur des poursuites pénales et criminelles (DPCP), qui a expliqué la décision de ne pas porter d’accusations contre les agents : « Chacun des deux policiers impliqués avait des motifs raisonnables de croire que la force appliquée à l’endroit de l’homme était nécessaire pour leur protection contre des lésions corporelles graves ou la mort et que l’usage de leur arme à feu était le seul moyen de mettre fin à cette menace. »

Je souligne ici que la scène a été filmée par un ambulancier, qui a remis la vidéo au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI). La vidéo, selon le DPCP, corrobore les déclarations de témoins.

Jean René Junior Olivier était Noir.

Et la police de Repentigny a souvent été accusée de profilage racial. Les anecdotes, mises bout4 à bout5, brossent en effet un portrait troublant6 de la propension de la police de Repentigny à arrêter des personnes noires pour délit de faciès.

Dans le contexte, la mort de Jean René Junior Olivier a été assimilée à du racisme de la part des policiers qui l’ont abattu, et ce, dès le tragique évènement.

Je cite Pierre Richard Thomas7, président d’un organisme qui lutte contre le profilage racial, lors d’une cérémonie qui a souligné en 2022 la mort de Jean René Junior Olivier devant l’hôtel de ville de Repentigny : « La mort de Junior, c’est une séquelle de l’esclavage et du système esclavagiste qui était basé sur la supériorité des races. »

La mort de Jean René Olivier Junior est une tragédie.

Mais au vu des faits évoqués par le DPCP, au vu des témoignages récoltés par le BEI auprès des témoins – témoignages appuyés par une vidéo –, on est loin d’une exécution sommaire motivée par des policiers repentignois racistes.

Au contraire, les policiers ont pris le temps de parlementer avec M. Olivier. Ils ont tenté de le raisonner pendant 15 minutes.

Et au bout de ces 15 minutes, M. Olivier a chargé les policiers avec son couteau. Cela lui a coûté la vie.

Le profilage racial existe, c’est une évidence statistique. Mais affirmer que « la mort de Junior, c’est une séquelle de l’esclavage », c’était sauter à une conclusion hâtive qui a très, très mal vieilli.

Si les militants antiracistes ont des preuves qui contredisent les conclusions du BEI et du DPCP dans le cas de la mort de M. Olivier, on les invite à les présenter au public. Des affirmations extraordinaires requièrent des preuves extraordinaires.

Je reviens à la règle des 21 pieds. Sa validité est contestée, pour plusieurs raisons8. En entrevue avec le New York Times en 2015, Dennis Tueller a affirmé avoir simplement voulu signaler aux policiers, en 1983, qu’ils pouvaient être en danger beaucoup plus rapidement qu’ils ne le croyaient devant un suspect.

Il n’a jamais voulu en faire une règle absolue, du genre : dès que le suspect est à 20 pieds, les boys, tirez. Mais c’est devenu une telle règle, à mesure qu’elle a été enseignée en Amérique du Nord.

J’ajoute qu’une étude scientifique9 a établi que la distance vraiment sécuritaire pour faire face à un assaillant armé d’un couteau est de 32 pieds…

Ce qui est souvent impraticable comme distance à garder avec un individu interpellé.

Et au Royaume-Uni, les policiers sont entraînés à intervenir autrement qu’avec des armes auprès de suspects armés d’un couteau. Voyez cette vidéo de la CBC10 sur un suspect maîtrisé par des policiers alors qu’il brandissait une machette, en 2016.

C’est la philosophie derrière l’entraînement des policiers qui a tué Jean René Junior Olivier, pas le racisme.

S’il y a des questions à poser, c’est sur cet entraînement.

1. Lisez une explication du « Tueller Drill » (en anglais) 2. Lisez la chronique « Putain de couteau » 3. Lisez l’article « Aucune accusation ne sera portée contre les policiers qui ont tué Junior Olivier » 4. Lisez l’article « Profilage racial à Repentigny : un enseignant noir a gain de cause face au SPVR » 5. Lisez l’article « Le profilage racial à Repentigny, “l’éléphant dans la pièce” ? » 6. Lisez l’article « Les Noirs trois fois plus susceptibles d’être interpellés à Repentigny » 7. Lisez l’article « Un an après la mort de Jean René Junior Olivier, la douleur est encore vive à Repentigny » 8. Lisez l’article « Police Rethink Long Tradition on Using Force » (en anglais, abonnement requis) 9. Lisez une étude scientifique sur la règle des 21 pieds 10. Regardez la vidéo de la CBC