Pour parler de la saga d’Amira Elghawaby, casseuse de sucre sur le dos des Grenouilles, reculons l’horloge, revenons dans le temps, si vous le voulez bien.

Il y a toujours eu dans ce pays un régime deux poids, deux mesures, une bien-pensance où on tenait pour acquis que les travers québécois sont toujours pires qu’ailleurs au Canada.

Le champion du monde toutes catégories, en l’espèce, c’était Mordecai Richler. L’auteur de Barney’s Version, truculent Montréalais, était un génie de la littérature anglo-saxonne.

Richler était aussi un raciste qui détestait les francophones et qui a terni les aspirations nationalistes du Québec en assimilant le PQ aux nazis, par exemple.

Richler ne fut pas le seul anglo à dessiner une petite moustache à René Lévesque, mais venant de lui, ça faisait plus mal : il était célébré de New York à Londres en passant par Canberra. Pensez à Amir Attaran, mais avec un réel talent en quoi que ce soit1.

Permettez que je cite un extrait d’un portrait de Richler publié dans le Globe and Mail un an après sa mort2. Ray Conlogue y donnait la parole à un professeur de littérature québécoise, Ben Shek, qui avait soulevé plusieurs bémols dans le concert d’éloges qui avait accueilli la mort de Richler :

« Shek, qui a passé l’essentiel de sa carrière universitaire au Québec, ne nie pas l’antisémitisme au Québec, mais il se demande pourquoi Richler insistait pour dire que c’était pire au Québec. “Nous qui avons grandi à Toronto nous souvenons des règles qui empêchaient les Juifs d’y acheter ou d’y louer des propriétés.” Il note aussi ce deux poids, deux mesures selon lequel Richler banalisait toujours l’intolérance des anglophones, “qu’il ne décrit jamais comme racistes, un terme réservé pour les Québécois”. »

Je pense que ce passage de 2002 éclaire brillamment la saga Elghawaby en 2023, une dame particulièrement obsédée par le Québec en matière de lutte contre le racisme. Il ne faut pas avoir un doctorat d’archiviste, semble-t-il, pour trouver des déclarations qui suintent la généralisation à propos du Québec.

Dans les derniers jours, on a appris que Mme Elghawaby considère que :

– les Québécois sont majoritairement antimusulmans (sur la base d’un seul sondage qu’elle interprète mal) ;

– soulever le fait qu’historiquement, les Canadiens français ont été ostracisés par les Anglais dans ce pays, la fait « vomir » (tweet commodément effacé depuis) ;

– les Québécois ont peur de voir la pureté de leur « race » diluée (a-t-elle dit en réaction aux réflexions du penseur John Ralston Saul sur les Occidentaux du… XIXe siècle).

Bref, le mot « obsession » vient à l’esprit.

Mme Elghawaby a sûrement d’autres qualités. Peut-être est-elle la meilleure bénévole de la soupe populaire de son quartier. Mais ce n’est pas de cela qu’il est question ici. L’État vient de lui confier le mandat de parler d’intolérance…

Et elle semble assez intolérante elle-même face aux Québécois.

Y a-t-il de l’islamophobie au Québec ?

Bien sûr, comme partout en Occident.

Y a-t-il des islamophobes au Québec ?

Évidemment, comme partout au Canada.

Faut-il dénoncer cette forme d’intolérance ?

Oui. Et je le fais depuis des années dans cette chronique3.

Mais faire de l’islamophobie un problème spécifiquement québécois relève de l’obsession, au-delà de ce qu’on peut faire dire à UN sondage, toujours revenir au Québec pour décrier des problèmes qui existent partout au pays, sous d’autres formes, c’est imiter Mordecai Richler…

Jadis, ce sont les aspirations nationalistes du Québec qui nous méritaient d’être assimilés aux nazis, comme l’a fait Richler.

Aujourd’hui, le flirt avec la souveraineté étant terminé, c’est la vision québécoise de la laïcité qui pose problème, qui nous vaut des comparaisons avec l’Alabama ségrégationniste qui lynchait les Afro-Américains4 ou avec un paradis du suprémacisme blanc5 et qui nous vaut des injonctions à « nous éduquer ».

Je ne sais pas si Mme Elghawaby fume le cigare et boit du scotch comme Richler, mais elle partage sa vieille vision d’homme-blanc-d’un-autre-temps du « racisme » des Québécois : toujours pire que dans le ROC.

Je suis contre la loi 21, je l’ai écrit à plusieurs reprises. Je trouve que ce n’est pas un immense problème, les signes religieux6. Je suis en cela en dehors du consensus dans ma société. J’assume. Bien sûr que des islamophobes l’ont soutenue, cette loi. Mais pas QUE des islamophobes, et c’est ce que les militants comme Mme Elghawaby refusent – ou sont incapables – de voir.

Est-ce que Guy Rocher, un de nos grands humanistes, est un islamophobe ? Non.

Il y a au Québec un rejet du religieux (ancré dans l’histoire récente) qui semble totalement incompréhensible dans le ROC… Ce n’est pas pour rien que l’amendement constitutionnel qui a déconfessionnalisé les commissions scolaires a été piloté par Pauline Marois. Et ce n’est pas pour rien qu’il y a encore, dans le ROC, ce risible anachronisme : des commissions scolaires confessionnelles.

Mais cette différence de vues sur le religieux, elle n’est pas admise dans les cercles de Mme Elghawaby. Cette différence irrite les militants anti-loi 21 depuis sa gestation, avec les excès de langage qui sont le lot des militants.

En cela, Mme Elghawaby me fait un peu penser à…

Michel Brûlé.

Oui, le défunt éditeur.

Michel Brûlé était un ultranationaliste et un anti-anglos primaire, obsédé par l’anglais. Par exemple, l’équivalent du pronom « je » en anglais, « I », s’écrit avec une majuscule et c’était pour lui le signe que les Anglais se croient supérieurs… Du délire, de l’excès.

A-t-on pensé à nommer Michel Brûlé commissaire fédéral aux langues officielles ? Je pose la question in jest, comme on dit à Toronto. Mais il n’empêche que pour la militante Elghawaby, qui multiplie les déclarations anti-Québec, on ne s’est pas posé la question…

Weird !

Justin Trudeau donne donc son plein soutien à Mme Elghawaby, ce qui me donne deux flashs.

Un, cette tempête était hyper prévisible : dans l’équipe de M. Trudeau, y a-t-il quelqu’un qui comprend le Québec ? Et j’entends par « le Québec » tout le territoire qui s’étend au-delà du ghetto McGill.

Deux, Mme Elghawaby devrait googler cette expression : « Prêcher dans le désert ».

Pour le Québec, elle va en avoir besoin.

Et quant aux sondages, qu’elle érige en parole d’évangile, en voici un, de 2019, qui montre que la loi 21 est populaire, hors Québec7.

1. Lisez « Mordecai Attaran » 2. Lisez « Oh Canada, Oh Quebec, Oh Richler » (en anglais) 3. Lisez « La haine est un orage » 4. Lisez « Un professeur de l’Université d’Ottawa accuse le Québec de racisme » 5. Lisez « La nomination de Bochra Manaï fait encore des vagues » 6. Lisez « Accusé Blanchet, levez-vous ! » 7. Lisez « Laïcité : plusieurs Canadiens appuient le projet de loi du Québec, dit un sondage »