Je ne sais plus combien j’ai écrit de chroniques sur la peur irrationnelle des musulmans, au fil des années.

C’en est une de plus.

À London, dimanche, dans le sud de l’Ontario, un fou furieux serait donc monté dans sa camionnette et – selon les premiers éléments d’enquête et des déclarations de témoins – il aurait foncé délibérément à très haute vitesse sur une famille musulmane.

Bilan : quatre morts. Le père, la mère, la fille, la grand-mère. Un blessé grave, l’enfant de 9 ans.

C’est l’horreur, je ne sais pas si c’est du terrorisme, mais c’est terrifiant.

Qu’est-ce qui a motivé le suspect ? Les enquêtes journalistiques et policières vont finir par lever le voile. Mais il ne faut pas être Nostradamus pour postuler que ce salaud – pardon, je vais respecter l’orthodoxie journalistique et me corriger immédiatement : ce salaud présumé – s’est empoisonné à la xénophobie badigeonnée d’islamophobie.

Juste dire ça, islamophobie, ça va me valoir des tomates et des roches. Je suis encore fasciné par les débats polarisants suscités par le rejet de ce terme. Il aurait été « inventé » par des islamistes pour étouffer toute critique de l’islam, il ne serait basé que sur du vent, etc., etc.

Le mot décrit pourtant bien les choses : une hostilité face aux musulmans. Quatre Ontariens seraient prêts à en témoigner, de cette hostilité, mais malheureusement ils sont morts.

Comme le mot « francophobe », qui ne fait pas débat au Québec, décrit bien les choses : une hostilité face au fait français dans ce pays.

Comme le mot « antisémitisme » décrit bien les choses : une hostilité face aux juifs, hostilité immémoriale.

Bien sûr que les mots peuvent être utilisés comme bouclier pour se soustraire à toute critique. Ainsi, l’accusation de francophobie peut viser à étouffer toute critique du Québec dans ce pays, ça ne veut pas dire que la francophobie n’existe pas. L’accusation d’antisémitisme peut servir à faire taire toute critique des politiques israéliennes, ça ne veut pas dire que l’antisémitisme n’existe pas. Et l’accusation d’islamophobie peut servir à refroidir des critiques légitimes face à des agissements de musulmans, mais ça ne veut pas dire que la haine des musulmans est une fiction.

J’estime que les gens de bonne foi peuvent faire la différence.

Ça ne veut pas dire que l’islamophobie est une forme de haine plus importante que celle dirigée vers d’autres groupes. Ça nomme une haine qui existe.

De toute façon, la haine radicalisée n’est pas un jet d’eau qui cible un groupe bien précis : c’est plutôt une pluie qui arrose tout ce qui est vu comme étant « différent »…

Aujourd’hui, les musulmans ; demain, les juifs, les frogs, les gais, les Noirs, les poètes, les trans, les gauchistes…

La haine est un orage, elle touche tout le monde, à la fin.

Je note une banalisation de la haine, depuis quelques années. C’est là, dans l’air du temps. Trump en fut un symptôme, plus qu’une cause. Il y a beaucoup de « Oui, mais… », de justifications, je trouve.

Prenez l’attaque de la Mosquée de Québec, en deux flashs…

Un, j’ai chroniqué en janvier 2019 sur deux héros de l’attaque, qui ont tenté de neutraliser le tireur. Azzedine Soufiane et Aymen Derbali ont été décorés (M. Soufiane le fut à titre posthume) de la Médaille du civisme de l’Assemblée nationale pour acte héroïque…

Vous dire la merde qui s’est alors entassée dans ma messagerie, après cette chronique ! Vous dire les fausses équivalences, la banalisation et le mépris exprimés par nombre de lecteurs à l’égard des victimes de la Mosquée, à propos du poison d’extrême droite qui a dopé le tireur.

Le pire, c’est que cette banalisation trouve parfois des relais médiatiques : il y a même un désinformateur recyclé dans la politique à clics qui a parlé du tueur comme d’un prisonnier politique

Deux, le cimetière musulman de Québec. L’attaque de la Mosquée a mis en relief l’absence de cimetière dans la région. On a entrepris d’en aménager un, peut-être à Saint-Apollinaire, et…

Et ce fut un freak show de calibre olympique, mené par des villageois effrayés qui ont comiquement justifié leur hostilité avec tout le catalogue Sears des préjugés antimusulmans.

Ils étaient effrayés par… des musulmans morts. Imaginez quand ils sont vivants, ces musulmans. Mais bon, l’islamophobie n’existe pas.

Cette hostilité ne connaît pas de frontières, by the way. Ce n’est pas unique au Québec. Voyez Jeff Bennett, ex-candidat conservateur à London, qui a décrit ces derniers jours les horreurs qu’il entendait sur les musulmans, quand il faisait du porte-à-porte en 2014…

Ce n’est pas la première fois que je le souligne : il est terrifiant, ce climat où on désigne des ennemis du groupe, de la majorité, un peu partout en Occident, où l’Autre est déshumanisé. C’est une forme de fascisme que de voir des Ennemis du Peuple partout.

Trump n’a pas inventé ce discours fascisant, mais il l’a amplifié. Il a tué les stigmates l’accompagnant. Et ce discours-là, mille fois répété, mille fois cliqué, mille fois banalisé, mille fois glorifié, eh bien, il finit par s’incruster dans des esprits troublés : musulman = ennemi, l’Autre est une menace, il faut se « défendre »…

Et des fois, il y en a un qui mord à l’hameçon des propagateurs de haine. Il y en a un qui enfile un gilet pare-balles et son casque comme un bon petit soldat de plomb, qui monte dans sa camionnette et qui part à la recherche d’un « ennemi » à écraser…

Et des fois, il en trouve un.

Ou cinq.