Je pense sérieusement à m’acheter un billet d’avion pour visiter les Highlands, en Écosse.

J’y apercevrais le monstre du Loch Ness, j’en suis convaincu.

Les miracles existent.

J’en ai vu un de mes propres yeux, lundi.

Préparez-vous à tomber en bas de votre chaise : un projet d’envergure a été inauguré à Montréal sans dépassement de coûts.

Vous avez bien lu.

L’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) a réussi à respecter le budget de 112 millions de dollars décrété en 2019 pour construire un nouvel immeuble de 10 étages, directement au-dessus de la station de métro Rosemont.

Un projet annoncé avant la pandémie et avant l’inflation, les deux causes désormais invoquées comme explication universelle pour tous les chantiers qui font exploser la caisse.

L’immeuble de l’OMHM comprend des bureaux ainsi que 193 logements pour des aînés à faible revenu. Ils ont déjà commencé à y emménager, comme Gisèle Germain, 82 ans, qui nous a fait visiter son appartement d’une chambre.

C’était réjouissant, voire émouvant, de la voir accueillir tous ces visiteurs dans son coquet petit logis.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Gisèle Germain, nouvelle locataire, en discussion avec la ministre québécoise de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, et la secrétaire parlementaire du ministre du Logement, Soraya Martinez Ferrada.

La directrice générale de l’OMHM, Danielle Cécile, a insisté sur le respect de l’enveloppe budgétaire pendant son allocution devant un parterre rempli de politiciens de tout acabit.

La chose est tellement rare qu’elle méritait en effet d’être surlignée au marqueur fluo.

En marge de l’évènement, elle m’a confié que le budget devrait même arriver à un cheveu sous la barre prévue des 112 millions.

J’ai alors pensé à m’acheter un « 6/49 », en même temps que mon billet pour l’Écosse.

Il y avait de l’espoir, mais aussi une triste ironie, dans cette annonce.

Car à trois coins de là, visible depuis l’immeuble flambant neuf de l’OMHM, se trouve l’un des projets qui a le plus dérapé de mémoire récente dans la métropole : le centre de transport Bellechasse de la Société de transport de Montréal (STM).

Ce projet est spectaculaire pour les mauvaises raisons.

D’abord son coût : 584 millions.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le chantier du centre de transport Bellechasse, de la STM, en décembre 2022

C’est plus du double de la facture de 254 millions qui avait été annoncé en 2017, et l’escalade n’est pas finie. D’autres millions viendront s’ajouter au chantier pour acheter des équipements destinés à entretenir et recharger les autobus électriques, ai-je appris.

Lisez l’article : « Facture de 584 millions : le garage Bellechasse de la STM coûtera plus de deux fois plus cher que prévu »

À titre de comparaison, voici ce qu’on peut aujourd’hui s’offrir à Montréal pour un demi-milliard de dollars :

Pour le groupe Broccolini, cette somme aura permis de construire le nouveau siège social de la Banque Nationale, un gratte-ciel imposant de 40 étages.

Pour l’administration Plante, cela représente l’ensemble des sommes qui seront consacrées à l’achat d’immeubles et de terrains pendant la prochaine décennie, pour faire du logement abordable.

Pour HEC Montréal, plus modeste, cela équivaut à moins de la moitié du coût total de son nouveau campus de 235 millions dans le quartier des affaires.

  • Le nouveau siège social de la Banque Nationale (à droite) a une facture d’environ 500 millions.

    PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

    Le nouveau siège social de la Banque Nationale (à droite) a une facture d’environ 500 millions.

  • Le chantier du pavillon de HEC Montréal, photographié en 2022

    PHOTO YVES TREMBLAY LES YEUX DU CIEL, ARCHIVES LA PRESSE

    Le chantier du pavillon de HEC Montréal, photographié en 2022

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Bref, la facture du garage de la STM est franchement incompréhensible.

La nouvelle directrice générale de la STM, Marie-Claude Léonard, reconnaît en entrevue que de nombreuses « leçons » ont déjà été tirées de ce projet.

La principale, c’est que l’étape de la planification ne saurait être escamotée.

Dans ce cas-ci, les tests de sol semblent avoir été faits à la va-vite, ce qui n’a pas permis de détecter la friabilité du roc. Cette lacune s’est transformée en problème de sécurité majeur en cours de chantier.

Des sources au fait du dossier dénoncent aussi une « instrumentalisation politique » de la STM par l’administration Plante, qui a demandé un changement de concept en 2018 pour que le garage devienne en partie souterrain.

Les devis de cette nouvelle mouture auraient été préparés de façon précipitée, me signalent ces sources.

La gouvernance du projet a été resserrée en cours de route, mais le mal était déjà fait. La seule chose que la STM peut faire est de modifier ses pratiques pour la suite, reconnaît Marie-Claude Léonard. Notamment pour le prolongement de la ligne bleue, qu’elle pilotera d’ici 2029.

Il y aura aussi des leçons, ou plutôt des apprentissages, à tirer du projet voisin de l’OMHM.

Sa gestation a été très longue – il a d’abord été proposé en 2011 –, mais l’OMHM a investi des efforts considérables – et un budget spécial de 4 millions – pour assurer une surveillance serrée des dépenses tout au long du projet.

La directrice générale de l’organisme songe à faire un bilan en bonne et due forme, et certains devraient peut-être prendre des notes. Ce trop rare exemple d’un projet public qui respecte son budget mérite d’être étudié.

J’ai conclu ma journée par une visite du chantier titanesque de reconstruction de l’hôtel de ville de Montréal. La facture a encore grimpé de 28,5 millions et dépassera le cap des 210 millions, a-t-on appris.

Comme quoi une nouvelle en chasse toujours une autre dans le merveilleux monde de l’information.