Dominique Anglade traverse sa plus difficile semaine à la chefferie libérale. Et si elle ne renverse pas la vapeur, ce pourrait être sa dernière.

Peu de poids lourds du parti la défendent. Ses critiques sont plus bruyants. Et elle ne devrait pas être rassurée non plus par ceux qui maintiennent un silence suspect.

Le principal espoir de Mme Anglade : la moitié de ses députés sont des recrues. Ils apprivoisent leur nouveau métier et n’ont jamais connu une autre cheffe. Pour l’instant, ils lui prêtent allégeance. Idem pour de fidèles vétérans comme Enrico Ciccone.

Mais le destin d’un chef de parti ressemble à un château de cartes. La personne au sommet tient seulement grâce aux autres. On retire une carte et elle reste. Une autre disparaît et elle peut encore tenir. Mais il suffit d’un mouvement de plus et tout s’écroule.

L’éjection de la députée Marie-Claude Nichols pourrait devenir ce geste de trop.

Son autorité en ressort affaiblie.

En politique, le pouvoir dépend de la popularité, du respect et de la confiance. Des choses qui changent vite. Surtout avec une dégelée électorale historique.

Mme Nichols voulait être nommée vice-présidente de l’Assemblée nationale, un poste assorti d’une prime de 35 000 $ qui a aussi le mérite de ne pas exiger de passer de longues heures à étudier les projets de loi les soirs de semaine.

La députée de Vaudreuil appartenait au clan des rivaux de Mme Anglade. La cheffe avait une occasion en or de se débarrasser de Mme Nichols en la proposant à la vice-présidence, un poste qui l’aurait astreinte à la neutralité.

Pourquoi le lui avoir refusé ? Parce que Mme Anglade croyait pouvoir lui imposer autre chose. Parce qu’elle a surestimé son autorité.

Mme Nichols a senti chez elle une vulnérabilité. Alors elle lui a dit : c’est la vice-présidence ou rien.

Si Mme Nichols n’avait pas été porte-parole d’un dossier comme les Transports, elle n’aurait pas été obligée de passer de longues heures en commission parlementaire à étudier les projets de loi comme doivent le faire ses collègues. Ç’aurait été injuste pour eux.

Mme Anglade aurait pu prendre le temps de trouver un compromis. Mais elle voulait confirmer rapidement les responsabilités de chaque député afin de permettre aux néophytes de commencer le travail. Sous pression, elle a expulsé sa députée. Une sanction d’une gravité sans précédent pour une si petite offense. Et depuis, elle le regrette.

Mme Anglade croyait faire une démonstration de force. Mais on le réalise aujourd’hui, c’était plutôt un aveu de faiblesse.

Les vieux libéraux ne reconnaissent plus leur parti. La discipline d’antan n’existe plus.

Dans les derniers jours, ce qui est dit en privé au caucus se retrouve le lendemain dans le journal. Des députés hésitent à y parler, par crainte que leurs propos fassent l’objet de fuites. Et d’autres font le raisonnement inverse. Ils prennent l’initiative de relayer eux-mêmes leur message aux reporters sous le couvert de l’anonymat.

Les libéraux doivent mettre fin à ce désordre avant la rentrée parlementaire, le 29 novembre.

Mme Anglade a prévu de parler d’économie ce mercredi et de santé vendredi. Mais elle doit s’en douter, son avenir occultera les autres sujets, et ça ne changera pas.

Elle a déjà fait un ménage partiel dans son entourage. L’organisateur de la campagne est parti, tout comme deux proches conseillers. Mais de toute évidence, ce n’est pas assez. En coulisses, c’est la critique qui revient le plus souvent contre Mme Anglade : elle s’entoure de gens qui sèment la division autant à cause de leurs choix stratégiques que de leur style personnel.

Qu’est-ce qu’un bon chef ? Le public juge selon ce qu’il voit à l’écran. Mais pour le caucus, ce qui se passe en coulisses compte tout autant.

Malgré son intelligence, son charisme et son intégrité, Mme Anglade encaisse plusieurs reproches. Par exemple, le recrutement de candidats était déficient – plusieurs investitures ouvertes ont été faites avec un seul candidat. Le programme paraissait aussi brouillon à cause des erreurs de calcul dans le cadre financier. Et la gestion des relations humaines a parfois été houleuse. Le sage Pierre Arcand s’est fait retirer temporairement ses dossiers en raison d’un voyage controversé dans le Sud en décembre 2020. Gaétan Barrette a subi le même sort après avoir prétendument commenté le dossier d’une collègue et avoir conseillé le gouvernement Legault sans avoir le feu vert de sa cheffe. Et enfin, Marie Montpetit a été éjectée du caucus à la suite d’allégations de harcèlement psychologique.

L’affrontement avec Mme Nichols ressemble à la goutte de trop.

Dans le passé, d’autres chefs ont cédé leur place pour le bien du parti. Était-ce leur choix ou celui de leurs collègues ? La réponse importe peu. Car au fond, cela revient au même.

Quand un chef part de sa propre initiative, c’est souvent parce que son équipe ne lui donne plus le choix. Et pour Mme Anglade, les options commencent à rétrécir. Sa marge d’erreur n’a jamais été si faible.