Peu importe l’expertise avec laquelle nos ministres coiffent leur casque de construction devant les caméras, ça ne va pas bien aller. Il est trop tard pour réparer certains dégâts.

Je l’écris avec toute la sympathie du monde pour les automobilistes qui subiront à partir de ce lundi matin les interminables embouteillages dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine : il n’y aura pas de solution facile.

C’est vrai, le manque de prévoyance et de coordination est frustrant. Difficile de comprendre comment le comité directeur de Mobilité Montréal a pu se réunir une seule fois depuis 2018. Difficile d’accepter que Québec commence à peine à réfléchir au covoiturage et aux impacts sur le camionnage.

Mais il y a une limite aux remèdes miracles. On a déjà bonifié le service du train de banlieue de Mont-Saint-Hilaire, de la ligne jaune du métro et de quelques lignes d’autobus. Même si la réflexion avait commencé l’année dernière, on n’aurait pas pu faire de miracle non plus.

Même si on ajoute des canots de sauvetage, cela ne suffira pas. Car en parallèle, on continue de surcharger le navire.

Nos élus ont pensé petit. Ils ont géré les transports en fonction de leur clientèle électorale. Avec une vision en tunnel.

L’écrasante majorité des décisions ont été prises pour plaire aux individus en leur promettant qu’ils pourraient se rendre à destination seuls dans le confort de leur voiture.

Je n’accuse pas les automobilistes. Quand on doit conduire les enfants à l’école avant de travailler au centre-ville, quand on n’a pas un million de dollars pour se payer une maison près d’une station de métro, on fait ce qu’on peut. On se débrouille, une journée à la fois. Et vivre en condo, ce n’est pas pour tout le monde.

Mais un élu ne devrait pas penser à ce niveau. Il doit s’élever pour réfléchir de façon collective. En se demandant : qu’arrivera-t-il si tout le monde agit en suivant son intérêt individuel ? Comment reconfigurer les choix pour obtenir un meilleur résultat ?

Hélas, peu ont osé le faire. Les pires ont abruti le débat en le réduisant à des termes moraux. Du genre : il ne faut pas diaboliser les automobilistes.

Personne ne mérite d’être jugé, bien sûr ! Mais on peut froidement constater quelques faits. Depuis le début du siècle, le nombre de véhicules augmente encore plus vite que la population. Ils deviennent aussi plus gros et prennent donc plus de place.

Année après année, les routes sont plus financées que les transports en commun. Il y a eu le REM et quelques autres projets, mais ils ne suffisent pas à renverser cette tendance.

Le Québec subventionne encore les conducteurs. La facture pour l’État dépasse ce qu’ils payent en taxes directes (essence, immatriculation, péages, permis de conduire). Certes, ils financent aussi les routes avec leurs impôts. Mais ils engendrent également un coût en pollution et en congestion.

Au début des années 1980, on promettait le prolongement imminent de la ligne bleue du métro dans l’Est. On l’attend encore.

En 2009, le gouvernement Charest projetait l’ajout de quatre stations sur la ligne jaune à Longueuil. L’idée se retrouve dans une déchiqueteuse du ministère des Transports.

Le Parti québécois propose de rendre le transport collectif gratuit dans l’est de Montréal. Mais les obstacles financiers se trouvent plutôt dans le 450, où le bus et le train coûtent plus cher, et dans le sous-financement du réseau.

Pour certains déplacements, l’auto solo restera toujours irremplaçable. Mais si tant de gens la préfèrent, c’est aussi parce que les autres options ne sont pas attirantes et ne leur conviennent pas. Notre parc automobile sert trop souvent à déplacer des places vides. Le covoiturage reste un tabou. Québec ne fait à peu près rien pour l’encourager, et l’Autorité régionale de transport métropolitain ne fait pas preuve de leadership non plus. C’est la Chambre de commerce du Montréal métropolitain qui a parlé le plus fort pour réduire l’auto solo !

Chez le gouvernement caquiste, la voiture électrique sert de prétexte pour se déculpabiliser d’élargir et de prolonger les autoroutes, même si cela ne fera qu’accélérer l’étalement urbain sans réduire à long terme la congestion.

Autre exemple de ce biais, les vélos électriques fabriqués ici ne sont pas subventionnés, alors qu’on distribue des milliers de dollars pour les voitures « vertes » importées. Je sais, ce n’est pas une solution pour tous. L’effet sur le trafic dans le tunnel serait marginal. Reste que sur le plan des principes, ce traitement inéquitable montre ce qui pèse le plus lourd dans la balance de Québec.

La politique sert à résoudre ces dilemmes où les citoyens, en agissant de façon rationnelle de leur point de vue, engendrent un résultat collectivement perdant.

Les automobilistes ne peuvent pas se construire eux-mêmes un métro, une navette fluviale ou un train. Ils sont obligés de choisir selon ce qu’il y a sur le menu.

C’est à l’État de leur offrir autre chose que la vieille recette qui rend de plus en plus de gens malades.