Pour la deuxième année d’affilée, les crimes haineux déclarés par la police ont augmenté de façon marquée au pays. On parle d’une hausse de 27 % pour 2021, ce qui porte à 3360 le nombre de crimes motivés par la haine rapportés au Canada. L’augmentation globale entre 2019 et 2021 est de 72 %1.

Ce bilan publié mardi par Statistique Canada est d’autant plus inquiétant qu’il ne révèle que la pointe de l’iceberg. Les statistiques déclarées par la police ne représenteraient qu’entre 1 % et 5 % des incidents haineux au pays2. Elles n’incluent évidemment que les cas portés à son attention et qu’elle juge elle-même assez sérieux pour les ranger dans la catégorie « crimes haineux ».

Cela laisse de côté une majorité de victimes qui ne feront pas de plainte à la police, notamment parce qu’elles ne font pas confiance à une institution aux prises elle-même avec de sérieux problèmes de racisme et de profilage.

Lorsqu’on lit des études sur le sujet ou qu’on prend connaissance d’histoires crève-cœur comme celle de Jean René Junior Olivier, on se dit que ces victimes ont quelques bonnes raisons de se méfier.

« Quels que soient mes problèmes, je ne vais plus jamais appeler le 911 », a confié à la CBC Marie-Mireille Bence, la mère de cet homme noir, mort sous les balles de la police de Repentigny il y a un an3. La mère éplorée avait appelé la police dans l’espoir que l’on vienne en aide à son fils de 38 ans en détresse psychologique. Mais au lieu de recevoir de l’aide, il a été abattu.

On peut comprendre que, pour la communauté qui pleure cet homme, le lien de confiance nécessaire pour qu’une victime porte plainte à la police est plus que ténu.

Bien qu’incomplètes, les données de Statistique Canada témoignent d’une inflation de la haine qui s’inscrit dans un contexte global alarmant d’une montée de l’extrémisme violent.

En mai dernier, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), David Vigneault, avait sonné l’alarme devant la tempête parfaite que nous traversons.

La crise sanitaire, l’influence croissante des réseaux sociaux et la prolifération de thèses conspirationnistes agissent comme du carburant pour les extrémistes. Cela crée un contexte pouvant pousser à la violence.

Des points de vue extrémistes racistes, sexistes, visant le pouvoir et les autorités alimentent la menace. « Tant en ligne que dans le monde réel, les propos haineux liés à de telles idéologies se normalisent et s’infiltrent dans le mode de pensée habituel », constatait le directeur du SCRS4.

L’antisémitisme, l’islamophobie et d’autres variations sur la même haine prolifèrent sans filtre, semant la peur au sein des communautés ciblées. Et pour cause. Ce torrent de haine a des conséquences funestes pour les groupes pris à partie. L’attentat antimusulman de London, en Ontario, qui a fauché quatre membres d’une même famille et laissé un enfant orphelin en juin 2021, en est un tragique exemple.

Statistique Canada rapporte d’ailleurs qu’il y a eu une hausse importante du nombre de crimes rapportés motivés par la haine envers une religion durant l’année 2021 (+ 67 %). On note aussi une hausse importante des crimes haineux liés à l’orientation sexuelle (+ 64 %).

Bien que la hausse soit plus modeste pour les crimes haineux liés à la couleur de la peau ou à l’origine ethnique (+ 6 %), le portrait n’est pas plus réjouissant. Cela reste le type de crimes haineux le plus rapporté, toutes catégories confondues. Parmi les groupes racisés, les personnes noires sont celles pour qui le plus grand nombre de crimes haineux a été déclaré, suivies des Asiatiques de l’Est ou du Sud-Est, des Sud-Asiatiques, des Arabes et des Autochtones.

Le gouvernement fédéral a promis un Plan d’action national de lutte contre la haine. On a bien hâte de voir ce qu’il contiendra et s’il intégrera les propositions de la Fondation canadienne des relations raciales pour mieux soutenir les victimes de la haine, dont certaines s’inspirent d’initiatives québécoises qui gagneraient à être reproduites partout au pays5.

Il faudra voir aussi s’il inclura des lois et des mesures suffisamment musclées pour que les géants du web qui font de la haine leur fonds de commerce soient mis au pas et que l’on reconnaisse que la haine virtuelle a des conséquences très réelles.

En attendant ce plan national de lutte contre la haine, il faut se rappeler que toute personne ayant une tribune, que ce soit dans les médias ou dans l’arène politique, a une responsabilité en ce sens. On ne devrait jamais banaliser la haine ou la ranger à tort dans la catégorie de la simple « opinion qui dérange ».

À l’approche de la campagne électorale de l’automne, cette autre inflation devrait aussi nous inquiéter.

1. Consultez le rapport de Statistique Canada 2. Consultez la recherche du Réseau canadien anti-haine (en anglais) 3. Lisez l’article de Radio-Canada « “Je suis dans la souffrance toute seule”, dit la mère de Jean René Junior Olivier » 4. Lisez l’allocution du directeur du Service canadien du renseignement de sécurité 5. Lisez l’article « Des recommandations pour mieux soutenir les victimes »