Si tout le monde ou presque est content, peut-on s’être trompé ?

Ça arrive, malheureusement. Le projet de loi libéral sur le contrôle des armes à feu le montre. Ce qu’il contient est bon. Le problème, c’est ce qui manque.

Sur le plan politique, le gouvernement Trudeau coche toutes les cases. Des groupes de pression comme PolySeSouvient l’applaudissent. La population l’appuie aussi. Et au Parlement, les partis de l’opposition ne déchirent pas leurs chemises. Même l’habituel clivage entre urbains et ruraux diminue, selon les sondages.

Les libéraux étaient tellement convaincus d’avoir bien agi qu’ils ont oublié de se demander si leur projet fonctionnerait vraiment.

Il aidera sans doute, mais moins qu’on ne le prétend. Car il ne s’occupe pas assez des armes fantômes et il ne donne pas tous les moyens nécessaires aux policiers pour sévir contre les criminels.

Cela dit, le projet de loi est nettement meilleur que la version précédente.

L’année dernière, les libéraux avaient proposé d’interdire l’achat, la vente, l’utilisation et le transfert des armes d’assaut. Ils s’engageaient aussi à racheter les modèles déjà en circulation. Or, le rachat était volontaire. Comme dans : optionnel, facultatif, inefficace. Le contraire du modèle éprouvé de l’Australie.

Pour les armes de poing, les libéraux offraient simplement aux villes de les interdire sur leur territoire. La réglementation aurait ainsi varié d’une municipalité à l’autre, selon les caprices des maires. Conduire quelques kilomètres aurait suffi pour la contourner.

Cette semaine, les libéraux ont bouché ces deux trous. Le programme de rachat devient obligatoire et le gel des armes de poing s’applique à l’ensemble du pays – les propriétaires gardent un droit acquis.

La réception est bonne.

Preuve du succès stratégique, les conservateurs n’ont pas publié de communiqué et les néo-démocrates se disent sceptiques, sans plus. Quant au Bloc, il a proposé d’instaurer un programme de rachat volontaire également pour les armes de poing et il s’inquiète d’un probable boom de la vente des armes de poing entre le dépôt et l’adoption du projet de loi. Pour le reste, il est favorable.

Rarement une mesure de contrôle des armes a suscité aussi peu de déchirements. Et pourtant, plusieurs questions demeurent.

Le nombre d’armes de poing a triplé depuis 2000. On en compte plus d’un million, et il s’en ajoute en moyenne 55 000 par année. C’est beaucoup.

La réglementation est toutefois déjà sévère. Un permis est requis pour acheter des armes et les transporter au centre de tir. Les policiers peuvent aussi les saisir en cas de violence conjugale.

Cela n’élimine pas le risque que des criminels les rachètent ou les volent. Mais un policier m’explique que ce n’est pas la voie que préfèrent les bandits – les armes enregistrées sont retraçables.

Le gel aura donc des effets modestes. Il se justifie si on croit que l’inconvénient l’est tout autant. Que le Canada ne perd pas grand-chose à empêcher des gens de s’initier au champ de tir avec ces armes. Pour ce hobby, il leur restera le pigeon d’argile et les armes de chasse.

Le problème est ailleurs. Dans les omissions du projet de loi.

Serions-nous en train de passer à côté de l’essentiel ?

En 2019, l’Association canadienne des chefs de police (ACCP) ne recommandait pas d’interdire des armes de poing. La réglementation lui paraissait suffisante. Cette semaine, elle ne s’est pas opposée à l’idée. Mais elle n’en fait pas une priorité.

Les fusillades viennent d’armes illégales qui ont été fabriquées ici ou importées des États-Unis. Ceux qui les assemblent, parfois à l’aide d’une imprimante 3D, doivent acheter à part un canon et un chargeur. Or, ces pièces ne sont pas interdites. La possession de munitions n’est pas prohibée non plus, et le projet de loi n’y change rien.

L’autre enjeu est le contrôle de la frontière. L’automne dernier, le gouvernement caquiste a lancé le projet Centaure, dans lequel les policiers québécois, canadiens, autochtones et américains collaborent pour contrer les importations illégales d’armes. Le gouvernement Trudeau avait réservé plus de 310 millions dans son précédent budget pour les frontières, et il promet d’en faire plus dans son projet de loi. Reste à voir comment ce travail se fera. Les policiers manquent actuellement de ressources. En ajoutera-t-on au net ? Et leur permettra-t-on d’agir partout, notamment sur des réserves frontalières comme celle d’Akwesasne, pour y faire des filatures et des arrestations ?

Enfin, il y a la question des interpellations. C’est un sujet très délicat. D’un côté, le profilage racial est un problème documenté et grave. De l’autre, on entend des policiers dire qu’ils hésitent à faire certaines interventions, de crainte d’être poursuivis. Pas facile de combattre ce fléau sans créer d’effets pervers. C’est le défi quotidien de la police.

Voilà un aperçu des volets plus controversés du contrôle des armes à feu. Le gouvernement n’en parle pas beaucoup dans son projet de loi. S’il est si bien reçu, ce n’est donc pas entièrement bon signe.