En janvier 2012, l’image avait enragé l’entourage de Pauline Marois. Son député Bernard Drainville posait en manchette du Devoir, les poings fermés en prière, en implorant un quelconque être supérieur d’empêcher la mort du Parti québécois.

Une décennie plus tard, le coup qu’il porte fait particulièrement mal. En se joignant à la Coalition avenir Québec, il fait le même calcul que d’autres avant lui : son ancien parti agonise. Il saute donc dans le véhicule de secours, la CAQ, pour pratiquer un nationalisme défensif. En proposant non pas plus de liberté pour le Québec, mais plutôt la protection de ce qui existe encore.

Ce calcul, c’est celui qu’ont déjà fait Manuel Dionne et Stéphane Gobeil, ses deux proches collaborateurs de l’époque péquiste de la charte des valeurs, qui travaillent au bureau du premier ministre Legault.

Le PQ dit que son ancien député a renié ses convictions pour devenir à nouveau ministre. Quant aux libéraux, ils prétendent que cela confirme que la CAQ est un parti de crypto-séparatistes. Mais c’est encore bel et bien une coalition, comme le prouvent l’aile fédéraliste et affairiste formée entre autres de Pierre Fitzgibbon, Eric Girard et Sonia LeBel.

J’ai connu M. Drainville quand j’étais courriériste parlementaire à Québec en 2011. J’ai aussi collaboré à son émission de radio au 98,5 FM. Son retour en politique ne me surprend pas.

L’automne dernier, une rumeur voulait qu’il se présente pour la CAQ lors de l’élection partielle dans Marie-Victorin. Il m’avait juré que ce n’était pas le cas. Mais de toute évidence, ce n’était qu’une question de temps.

On me raconte que tout s’est décidé la semaine dernière. Pendant que les militants caquistes se félicitaient en congrès à Drummondville d’être fiers, le chef de cabinet de François Legault a envoyé un message à M. Drainville : on aimerait vous parler… Une rencontre a été organisée mercredi soir. Drainville a prévenu ses patrons, qui l’ont préventivement retiré des ondes. Jeudi, sa décision était prise : il retournait en politique. Et tout indique que ce sera à titre de candidat dans Lévis, en remplacement du député sortant François Paradis.

M. Drainville laisse au moins un million de dollars sur la table, soit le salaire qu’il aurait touché durant les trois prochaines années à titre d’animateur radio, en vertu d’un contrat qu’il venait de signer. Ses cotes d’écoute étaient à la hausse.

En apprenant la nouvelle, je me suis demandé : pourquoi ?

Il y a la drogue de la politique. Reste qu’il y a déjà goûté. Il avait défendu la tumultueuse Charte des valeurs québécoises et la réforme consensuelle du financement des partis politiques. L’automne dernier, il larguait sa populaire chronique matinale à l’émission de Paul Arcand pour profiter un peu plus de la vie. Reste que c’est probablement sa dernière chance de faire de la politique et il ne veut pas le regretter.

Il ne peut pas ignorer non plus que sa défection sera perçue comme une trahison par ses anciens collègues péquistes. Je ne pense pas non plus qu’il a renoncé à l’indépendance. Il constate seulement que son rêve s’enlise.

À la fin des années 80, il était en faveur de l’Accord du lac Meech. Il croyait à une possibilité d’une réforme du fédéralisme. Puis, il a perdu tout espoir. Aujourd’hui, le Québec a perdu encore plus de rapport de force, mais il tentera ce pari. Probablement parce qu’il a l’impression que c’est la seule carte qui reste à jouer.

Il devra aussi défendre le troisième lien, un projet qui contredit le « projet vert » qu’il défendait en 2015 lors de la course à la direction du PQ.

Résidant de Saint-Augustin-de-Desmaures, il pourra se défendre d’être un parachuté dans Lévis.

Peut-être que Drainville pense à plus long terme. Lundi, il aura 59 ans. François Legault, lui, en a 65 ans. S’il gagne la prochaine élection comme prévu, il fera deux mandats. Voudra-t-il en demander un troisième ? La CAQ compte de jeunes ministres ambitieux, comme Geneviève Guilbault, Simon Jolin-Barrette et Sonia LeBel, qui aimeraient un jour lui succéder. Le nom de M. Drainville pourrait s’ajouter à la liste.

Son retour en politique fait suite à celui de Caroline St-Hilaire, autre députée devenue commentatrice afin de sauter à nouveau la clôture. Ce va-et-vient risque d’alimenter la méfiance des citoyens face à cette industrie des ex.

Mais cela, ce n’est plus le problème de M. Drainville. Il défendra désormais le bleu pâle.