Pour un avant-goût des prochaines élections québécoises, regardez celles en Ontario.

Le débat est très concret. Les citoyens veulent surtout savoir ce que les partis feront pour les aider face à l’inflation.

Le chef conservateur, Doug Ford, se vante d’être pragmatique et il se rapproche du centre. Assez pour repousser ses rivaux et se diriger vers sa réélection.

Sa stratégie est le contraire de celle de Pierre Poilievre, meneur présumé de la course à la direction du Parti conservateur du Canada. Bien sûr, des élections générales sont différentes d’une campagne à la direction. On s’adresse à l’ensemble de la population, et non aux militants. Chaque province a aussi sa dynamique propre. Reste que si sa victoire se confirme, M. Ford pourrait faire des émules.

Le pouvoir et la pandémie l’ont assagi. Il ne s’aventure plus dans des combats périphériques, comme les cours de sexualité. Il s’intéresse davantage à la crise du logement qu’à la lutte contre le déficit. Et il parle maintenant un peu d’environnement en investissant dans les véhicules électriques.

Ce n’est pas si loin de la recette de François Legault. Il a notamment abandonné son discours sur l’efficacité de l’État. Il ne parle plus de réduire le nombre de fonctionnaires ou de ministères.

« À la CAQ, on ne travaille pas pour défendre une idéologie. Notre seul maître, c’est le peuple québécois », a-t-il lancé dimanche en congrès à Drummondville.

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François Legault lors du congrès de la CAQ dimanche, à Drummondville

Ce maître n’est pas toujours cohérent.

Si on se fie aux sondages, la population veut payer moins d’impôt et recevoir de meilleurs services. Elle réclame plus d’autonomie pour le Québec, tout en sachant que le fédéral refusera. Et elle souhaite protéger l’environnement sans perdre le confort de son automobile.

Voilà justement ce que vend M. Legault. De l’audace raisonnable, du changement dans la continuité. « Rien de flyé, du gros bon sens, de la bonne gestion », dit-il. Il complète le tout avec quelques marottes pour se démarquer de la compétition, comme les coûteuses maisons des aînés.

Québec solidaire opère aussi un léger recentrage. Le parti de gauche diversifie ses candidats. Pour élargir ses appuis, il recrute hors de la gauche communautaire, avec des médecins (Mélissa Généreux et Isabelle Leblanc), un avocat (Guillaume Cliche-Rivard), un directeur général de la Fédération de la relève agricole (Philippe Pagé) et un vice-président adjoint de la Banque de développement du Canada (Haroun Bouazzi).

Quant au Parti québécois et au Parti libéral, leurs approches en santé et en éducation ne diffèrent pas radicalement de celles de la CAQ. Eux aussi veulent réinvestir dans les services publics. Le débat porte plus sur les moyens que sur les objectifs.

M. Legault les ignore donc. Il préfère utiliser les solidaires et les conservateurs comme repoussoirs. Son plan : se situer quelque part entre les deux.

Dans un panel d’experts au congrès de la CAQ, le politologue Stéphane Paquin a exposé les différentes stratégies électorales.

Je simplifie grossièrement. La vieille approche consiste à viser l’électeur moyen. À la fin des années 1950, l’économiste Anthony Downs soutenait que les partis convergeaient ainsi naturellement vers le centre.

Donald Trump a montré que la psychologie de l’électeur était trop complexe pour être expliquée par un diagramme gauche-droite. Mais on s’en doutait déjà. Les tactiques s’étaient raffinées bien avant lui. L’une d’elles consiste à miser sur un sujet émotif qui sépare l’électorat en deux camps. Ce clivage (wedge) sert à mobiliser ses troupes. Stephen Harper était particulièrement habile à ce jeu.

À quelle école appartient la CAQ ? Un peu aux deux. Sur la forme, elle provoque. Mais sur le fond, elle vise l’électeur médian, ou presque.

C’est particulièrement vrai avec le français et l’immigration.

M. Legault n’annonce rien de moins que la louisianisation du Québec si le fédéral ne lui cède pas le contrôle du programme de réunification familiale. Pourtant, il s’agit en bonne partie d’enfants qui étudieront au Québec en français.

Mais quand on examine les politiques caquistes en français et en immigration, elles incarnent un compromis entre les rivaux.

En français, il se vante d’aller moins loin que le PQ, qui appliquerait la loi 101 aux cégeps et sélectionnerait uniquement des immigrants économiques qui parlent français.

M. Legault veut remplacer son ancien parti en réunissant à la fois les péquistes fatigués et les fédéralistes nationalistes. Son nationalisme consiste à réclamer plus de pouvoirs à l’intérieur d’un pays qui les lui refuse. Il incarne ainsi l’ambiguïté québécoise. C’est un compromis enveloppé dans un discours rugueux.

Il compense avec des tracasseries absurdes, comme d’exiger qu’un réfugié apprenne le français en six mois. Quand ses ennemis sont fâchés, il est satisfait. Et le gouvernement Trudeau en ajoute avec des provocations, comme sa menace d’affaiblir la disposition de dérogation.

Je serais toutefois étonné que les Québécois votent en fonction de l’immigration ou du français. Comme les Ontariens, ils sortent épuisés de la pandémie : ils veulent savoir ce que leur gouvernement fera pour eux, surtout avec la hausse du coût de la vie. Pour faire le plein de votes, les partis se rapprocheront chacun à leur façon du centre. En d’autres mots, de la zone payante.