« Voyons, dans quelle poche je l’ai mis ? »

Vous venez d’arriver à l’épicerie, il faut vous masquer pour y entrer.

« Je dois bien en avoir un quelque part dans le char ? »

Vous en trouvez un en dessous du tapis sauve-pantalon. Ça va faire la job. L’élastique est un peu lousse, vous le twistez, en faisant deux tours sur les oreilles, c’est parfait. Il est loin, le temps où vous manipuliez les masques médicaux avec un soin hygiénique. À un moment donné, on en revient. Vous vous dépêchez à aller choisir une salade, avant que la buée dans vos lunettes vous empêche de la voir. Trop tard. La brume s’est levée. Vous enlevez votre masque et vous vous en servez pour essuyer vos lunettes. C’est quand même pratique. Puis vous remettez vos lunettes et votre masque. Y en aura pas de facile !

Ça fait plus de deux ans que vous vivez avec ce bout de tissu. C’est votre relation la plus stable depuis longtemps. Qui l’aurait cru ? Surtout qu’au début, on vous interdisait de sortir avec lui. Ne portez pas de masque ! Trop dangereux ! Vous allez le toucher avec vos mains et augmenter vos chances d’attraper le virus. Mais pourquoi le personnel hospitalier en porte ? Parce que. Parce que quoi ? Parce que, c’est tout.

Puis, quelques semaines plus tard, changement de discours. Vous devez porter le masque en toutes circonstances.

Même que Santé Canada recommande de le garder en faisant l’amour. La 51e nuance de gris ou de bleu pâle.

Le masque est devenu l’objet le plus recherché sur la planète. Des commandos de Bruce Willis et de Tom Cruise ont eu pour mission de détourner des cargaisons. Aucun pays ne voulait perdre la face. On a dépensé des sommes folles pour se procurer ce morceau d’étoffe petit comme un bas de bikini. Et un jour, la pénurie de couvre-visages s’est réglée. Il y en a eu partout à la pochetée. Prenez-en un pour entrer et un autre pour sortir. Pas les N95, bien sûr, mais les autres, les communs qui ne sont pas assez perfectionnés pour avoir une lettre et un chiffre. Aujourd’hui, on a plus peur de manquer de chips que de masques.

On a cru, pendant un certain temps, que le masque deviendrait tendance. Les grandes marques se sont amusées à sortir leur ligne griffée, les grosses entreprises en ont distribué à leurs couleurs, mais la mode s’est vite essoufflée. Personne n’est dupe, ça reste un vulgaire écran à bave.

Auquel on s’est habitué. Tellement que lorsque l’on croise, dans un endroit public, quelqu’un sans masque, ça nous met en état de choc. Il serait complètement tout nu avec seulement un masque, on n’en ferait pas de cas. Le bout du nez et la bouche sont devenus les nouveaux organes à dissimuler.

On peut tous se vanter d’être de bons citoyens responsables et de porter le couvre-visage avec assiduité, mais il faut quand même avouer qu’on le porte un peu n’importe comment. On est tous atteints du syndrome du coach de hockey à des degrés divers. Le coach de hockey enlevant systématiquement son masque pour crier dans les oreilles de ses joueurs et le remettant avec application, quand il n’a plus rien à dire.

Nous, contrairement aux coachs, on a compris que c’est lorsqu’on propulse des postillons qu’il faut que le masque soit bien ajusté. Le problème, c’est que la pandémie nous a fait réaliser qu’on ne parle pas seulement de la bouche, on parle du nez, aussi. Le mouvement de nos lèvres entraîne aussi le mouvement de notre nez, ce qui fait glisser notre masque en bas de nos narines. On passe nos conversations à se remonter le linge. Ce qui nous a fait développer un tic nerveux.

Tellement, que le jour où l’on sera libéré du masque, on va continuer, en parlant, à se remonter un linge invisible.

Mais en serons-nous libérés un jour ? C’est dimanche que le DBoileau recommandera ou non au gouvernement la levée de l’obligation de porter le masque à compter du 14 mai. Les avis sur la question sont partagés. Certains disent qu’il est plus que temps de se démasquer, le Québec, ainsi que l’Île-du-Prince-Édouard, étant les seuls endroits en Amérique du Nord où il n’est pas permis de l’être. D’autres disent que le virus circule encore beaucoup et qu’il vaut mieux être prudent.

Nous, on ne sait plus. On a hâte de s’enlever ça du visage, mais on n’haïrait pas ça que les autres continuent à le porter. Ça ne nous protège pas juste de leur COVID-19, mais aussi de leur mauvaise haleine, de leurs poils de nez disgracieux et de leurs airs bêtes. Ce n’est pas rien.

Vous sortez finalement de l’épicerie. Après avoir mis les sacs dans l’auto, vous filez à la maison. Vous préparez le souper, appelez les enfants, et tout le monde passe à la table. Vous venez pour manger… Oups, la bouchée ne passe pas, vous avez oublié d’enlever votre masque, depuis l’épicerie.

On sait que quelque chose fait vraiment partie de notre vie quand on n’oublie pas de le mettre mais qu’on oublie de l’enlever.

Encore 15 jours. Peut-être…