Il aura fallu dix ans, mais on sait finalement comment et pourquoi la Sûreté du Québec (SQ) a agi comme une police de pee-wee le 4 septembre 2012 quand Pauline Marois a échappé à un attentat politique, le soir des élections.

Tout, dans cette affaire, suintait l’amateurisme.

Que Richard Henry Bain ait pu stationner son véhicule à l’arrière de la salle de spectacle le soir du party électoral du PQ était déjà le signe d’une négligence incroyable.

Que Bain ait pu sortir de son char en robe de chambre, une arme longue à la main, sans être repéré ; qu’il ait pu marcher jusqu’à la porte arrière du Métropolis sans jamais croiser un policier ; qu’il ait pu tirer sur des employés et allumer un incendie contre la porte arrière, tout ça est inacceptable…

Digne d’une police de village.

J’avais dénoncé ce laxisme peu après l’attentat politique dont a été victime Mme Marois (1). Et après la condamnation de Bain, j’avais critiqué (2) que la SQ ait pu enquêter sur sa propre conduite, ce soir-là. Voyons donc ! Je m’étais indigné que le rapport ait pu rester secret. Jamais compris ça.

Non seulement un homme avait tenté d’assassiner la première ministre élue, mais en plus, deux techniciens de scène avaient été touchés par les balles de l’assaillant. Denis Blanchette en est mort ; Dave Courage a été gravement blessé.

Mais l’État québécois étant ce qu’il est – l’opacité est la norme –, la SQ a pu enquêter sur la conduite de la SQ, et la SQ a commodément pu cacher les conclusions de l’enquête.

Aux fins de comparaison, en 2013 et en 2014, le Secret Service américain – chargé de protéger le président des États-Unis – a été ébranlé par plusieurs failles de sécurité autour du président Obama. Cerise sur le sundae : le 19 septembre 2014, un homme armé d’un couteau a réussi à sauter par-dessus les barrières qui entourent la Maison-Blanche et à pénétrer dans l’édifice avant d’être arrêté par un gardien.

Que s’est-il passé, après ?

Deux semaines plus tard (3), la cheffe du Secret Service a été sommée de s’expliquer devant le Congrès américain. Ses réponses scriptées et évasives lui ont valu d’être « démissionnée », c’est-à-dire qu’elle a remis sa démission avant d’être congédiée.

Au Québec ? Rien de tout cela, Mesdames et Messieurs.

Il aura fallu dix ans pour qu’on sache ce qui s’est passé, à la faveur d’un procès intenté par des employés du Métropolis encore traumatisés par l’attentat. La poursuite vise la SQ et le Service de police de la Ville de Montréal.

L’avocate des victimes, MVirginie Dufresne-Lemire, a insisté pour que le fameux rapport de la SQ soit présenté en preuve. L’avocat du Procureur général du Québec, qui représente l’État, s’y est vigoureusement opposé, jugeant que le rapport n’est pas pertinent dans cette cause…

Le juge a permis aux avocats de lire le rapport et de le citer. Ce qui en ressort est déconcertant de bêtise policière. Et on y apprend que :

  • le rapport fait seulement sept pages ;
  • il ne blâme pas la SQ ;
  • aucun témoin n’a été rencontré pendant « l’enquête » ;
  • il est simplement question de « problèmes d’arrimage » avec des « partenaires externes » ;
  • l’officier Louis Bergeron, qui a rédigé le rapport, ne reconnaît pas ses propres mots et ne peut certifier en avoir écrit des pans ;
  • le mandat d’enquêter sur l’attentat du Métropolis n’a été donné que quatre mois plus tard, en 2013, au nouveau patron de l’unité de protection des personnes, Denis Rioux.

Le plus sidérant ?

Quand on lui a confié le mandat « d’enquêter » sur le Métropolis, Denis Rioux s’en est aussi fait dicter les conclusions, à l’avance. Je relate ici un échange entre le juge Philippe Bélanger et Denis Rioux, tel que rapporté par Louis-Samuel Perron, de La Presse, jeudi dernier (4).

Le juge : « Le mandat semblait télégraphier les conclusions. On dirait que les conclusions du rapport étaient déjà un peu dictées… »

Réponse de Denis Rioux : « Oui. »

Un mort, un blessé grave, des traumatisés et une PM qui échappe à la mort : la SQ traite ça comme si sa cafétéria avait un problème de chauffage.

Le responsable de la sécurité au Métropolis pour la SQ ce soir-là, Daniel Rondeau, est venu dire à la Cour qu’il n’y a pas eu d’erreur de la SQ, en 2012. Pas de raison de mettre des policiers armés derrière le Métropolis, Votre Honneur, puisque nous n’avions pas connaissance de menaces contre Pauline Marois !

Message à tous ceux qui auraient envie d’assassiner un premier ministre au Québec : ne faites pas de menaces directes, puis passez par la porte arrière, notre police très provinciale ne se doutera de rien. Vous pourrez même le faire en robe de chambre, vous n’attirerez même pas l’attention…

Je sais que la SQ a fait circuler l’idée que c’était au SPVM de protéger le périmètre, donc de garder la porte arrière. Le SPVM a jugé que ce n’était pas nécessaire, ce qui est une approche complètement insensée.

Mais au final, qui a la responsabilité de s’assurer que notre PM ne se fasse pas descendre ?

La SQ.

À elle de prendre TOUS les moyens pour que ça n’arrive pas.

La SQ a-t-elle appris de 2012 ?

Non : l’actuel responsable de la protection des dignitaires, Pierre Bertrand, est venu dire ceci à la Cour (5), à propos des méthodes de protection pour la prochaine campagne : « Le plan de sécurité de base va être le même. […] La recette, c’est la même de 2012 à 2022. »

Tsé, ça a tellement bien fonctionné, en 2012, la « recette » !

Dans l’industrie aérienne, on tente d’en apprendre le plus possible sur les raisons d’un crash, pour en éviter la reproduction. On retrouve la boîte noire et on reconstitue carrément l’avion avec les débris. Ainsi, au fil des décennies, à force d’apprendre de ses erreurs, l’aviation civile est devenue extrêmement sécuritaire.

Nous, après le Métropolis, on a laissé la SQ enterrer la boîte noire…

Question pour les élus : attendez-vous que l’un de vous se fasse tirer avant d’exiger une meilleure protection ? En ne talonnant pas la SQ sur sa gaffe du Métropolis, vous lui avez envoyé le signal qu’elle n’a rien fait de mal : sa « recette » de protection est la même, dix ans plus tard.

Petit rappel : la seule raison qui a empêché Bain d’aller au bout de sa folie, ce n’est pas le bon travail de la SQ. C’est parce que l’arme de Bain s’est enrayée.

La chance n’est pas un plan de match, mais l’épisode du Métropolis montre que la SQ est assez négligente pour compter là-dessus dans la protection de notre PM.

1. Lisez la chronique « De la SQ au Secret Service » 2. Lisez la chronique « La saga Bain, en neuf observations » 3. Lisez l’article « Julia Pierson resigns as Secret Service director after series of security lapses » (en anglais) 4. Lisez l’article « Des conclusions dictées par l’état-major de la SQ » 5. Lisez l’article « Les méthodes de la SQ demeurent inchangées »