Les conclusions du rapport d’enquête visant à faire la lumière sur l’attentat « politique » du Métropolis ont été dictées à l’avance par l’état-major de la Sûreté du Québec (SQ), a admis jeudi le responsable de ce document secret. Ce rapport très peu critique envers la SQ révèle que Pauline Marois a été visée par six « menaces » à l’annonce des résultats.

Pour la première fois en 10 ans, des éléments de ce rapport ont été rendus publics jeudi au palais de justice de Montréal au procès civil intenté contre la SQ et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) par quatre survivants de l’attentat. Ces techniciens de scène sont traumatisés depuis que Richard Henry Bain a abattu Denis Blanchette sous leurs yeux. Ils réclament 600 000 $ en raison de l’absence de sécurité.

Les avocats des survivants ont d’ailleurs eu « toutes les difficultés du monde » à obtenir ce rapport de sept pages. « [La SQ] a nié l’existence de ce rapport ! On nous a dit qu’on ne savait pas qui l’avait signé. Il n’y a pas de signature ! Ç’a été extrêmement difficile à avoir », a déploré MVirginie Lemire-Dufresne.

Or, l’avocat du Procureur général du Québec s’est opposé corps et âme à son dépôt en preuve jeudi, plaidant qu’il n’était pas « pertinent », et donc inadmissible. D’ici une décision du juge, nous pouvons seulement en rapporter les extraits lus en cour.

Aucun témoin rencontré pour le rapport

Le policier choisi pour faire la lumière sur l’attentat, le capitaine Louis Bergeron, n’était nul autre que le responsable de la sécurité des chefs pendant la campagne électorale de 2012. Il devait donc en quelque sorte analyser le travail de son propre service. Sans surprise, ses conclusions critiquent à peine la SQ. On mentionne un problème d’« arrimage » avec des partenaires externes et une « façon de procéder » qui n’est pas « optimale » entre les unités de la SQ.

Après avoir reçu ce mandat de son supérieur Denis Rioux, Louis Bergeron n’a pas cru bon rencontrer les témoins de l’attentat, puisqu’il avait tenu des « rencontres informelles » avec des policiers quatre mois plus tôt. Il n’a pris aucune note de ces discussions et n’a rencontré aucun membre du SPVM. « Je n’étais pas en enquête », se défend-il. Il mentionne aussi vaguement des discussions avec ses « collègues officiers » pour arriver à ces conclusions.

D’ailleurs, Louis Bergeron ne peut certifier avoir écrit chaque ligne du rapport.

Je reconnais certains de mes mots, certaines de mes phrases. Est-ce que la totalité sont mes mots exacts ? Je ne peux pas donner cette réponse.

Louis Bergeron, ancien capitaine de la Sûreté du Québec

Le rapport conclut que Richard Henry Bain avait un profil de « loup solitaire » et qu’il a commis un « attentat politique » visant « la cause souverainiste et le Parti québécois ». Devant le juge, le témoin évoque maintenant un « attentat terroriste ». Rappelons qu’à son arrestation, le tireur a crié : « Les Anglais se réveillent ! »

Il est question dans le rapport de six menaces visant Pauline Marois le jour des élections. Mais Louis Bergeron affirme n’avoir aucun souvenir de la nature de celles-ci, sinon que certaines ont été lancées lors du dévoilement partiel des résultats. Le témoin a aussi révélé que le plan A pour évacuer Pauline Marois en cas de menaces était la sortie arrière du Métropolis. Justement là où le tireur a ouvert le feu.

Louis Bergeron a également participé à la confection du plan pour assurer la sécurité des chefs politiques pendant la campagne 2012. Ce rapport produit avant l’attentat souligne six menaces : les étudiants, le Plan Nord, les gaz de schiste, l’industrie forestière, l’opposition à la privatisation des services publics et les indépendantistes radicaux.

Mercredi, une responsable du SPVM a déclaré que le Parti libéral du Québec était en « danger » le soir des élections, et non le Parti québécois. « Si Pauline Marois était élue, c’était festif, c’était joyeux », a-t-elle témoigné.

Conclusions télégraphiées

Même s’il n’avait aucune expertise en protection des personnalités, Denis Rioux a été nommé grand patron de la Direction de la protection des personnes et des infrastructures de la SQ en janvier 2013. Cette escouade spécialisée assure la protection du premier ministre du Québec et des chefs de parti pendant la campagne électorale.

Dès son entrée en poste, Denis Rioux a reçu le mandat de rédiger un rapport exécutif pour tirer des recommandations des évènements du Métropolis. La directive venait du directeur général adjoint Jocelyn Latulippe, maintenant cadre à la Société de transport de Montréal. Mais les notes de Denis Rioux révèlent que le rapport était déjà ficelé dans l’esprit de l’état-major de la SQ.

« Le mandat semblait télégraphier les conclusions. On dirait que les conclusions du rapport étaient déjà un peu dictées », a souligné le juge Philippe Bélanger.

« Oui », a rétorqué Denis Rioux, maintenant retraité de la SQ.

Denis Rioux soutient n’avoir été qu’une « courroie de transmission » de ce rapport écrit par son « homme de confiance », le capitaine Louis Bergeron. « Je n’ai pas [remis en question] particulièrement le contenu du rapport », a admis Denis Rioux.

Le procès se poursuit ce vendredi.

Le PQ exige la publication du rapport

Le chef parlementaire du Parti québécois, Joël Arseneau, exige que le rapport soit rendu public. Il presse aussi les corps policiers de refaire l’exercice « bâclé » qui aurait dû être fait après l’attentat contre Pauline Marois, alors que des élections auront lieu à l’automne dans un contexte social tout aussi tendu.

« Je pense qu’on devrait le rendre public et qu’il faudrait une très bonne raison, au point où l’on en est, pour ne pas le faire. Si on constate ce qu’on devine, que ce [rapport] a été bâclé, que ç’a été fait à la sauvette et de façon incomplète, et je suis poli, j’utilise des euphémismes, il faudra évidemment refaire l’exercice. Ça me semble incontournable », a-t-il dit jeudi à La Presse.

« Aujourd’hui, ça devient extrêmement important que l’on se penche sur le dossier parce qu’on a une campagne électorale qui s’en vient, que plusieurs partis se rivalisent et parce que le clivage politique et social au sortir de la pandémie est probablement tout aussi important, sinon davantage qu’au sortir du printemps érable. Je pense qu’il faut prendre ça au sérieux », a-t-il ajouté.

Le chef parlementaire péquiste a également souligné « à quel point cette poursuite au civil de la part de ceux qui ont été traumatisés par l’évènement nous est aujourd’hui utile comme société ».

« Je pense que c’est important qu’on découvre que ces failles évidentes dans la sécurité des personnalités politiques de l’époque n’ont jamais été corrigées. C’est ça qui est inquiétant », a-t-il dit.

« C’est surréaliste de penser qu’un attentat contre la première ministre d’un État moderne comme le Québec n’ait pas été suivi d’une enquête plus sérieuse, plus rigoureuse et plus approfondie. Ça me dépasse. Tout ce dossier, ce n’est pas sérieux, ce qu’on apprend, mais [c’est] aussi extrêmement grave de voir qu’on a géré ça de façon aussi peu rigoureuse, de façon aussi légère et superficielle », a conclu M. Arseneau.

Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, La Presse