10 septembre 2020, à la grand-messe pandémique, Christian Dubé a sa mine triste de ministre contrarié. Le regard sombre, il annonce, à tout le Québec, la fin du karéoké. Oui, je sais, c’est karaoké, mais le ministre ne le sait pas trop. Ça ne doit pas être un très grand adepte de la petite boule qui rebondit sur les paroles. Le karaoké est en disgrâce, depuis que, dans un bar de Québec, en une seule soirée, une centaine de personnes pratiquant l’activité ont été contaminées.

Le lendemain, le gouvernement passe de la parole aux actes. L’arrêté numéro 2020-063 du ministre de la Santé et des Services sociaux en date du 11 septembre 2020 précise noir sur blanc : « QUE, sauf dans une résidence privée ou ce qui en tient lieu, il soit interdit à quiconque d’organiser ou de participer à une activité de karaoké. »

Un autre 11 septembre dramatique. Les tours de haut-parleurs de tous les bars karaoké du Québec viennent de s’écrouler. Fermez le micro, arrêtez la musique. Le Québec ne chante plus. Le Québec déchante.

Les mois passent. Les vagues aussi. La vaccination aidant, la vie reprend. Les nouveaux interdits redeviennent de bons vieux permis. On ouvre les cinémas, les restaurants, les gymnases. Le Centre Bell peut même être rempli de partisans huant l’adversaire, mais les karaokés sont toujours fermés. Tout le monde comprend pourquoi, même les complotistes. Un lieu restreint, rempli de gens postillonnant gaiement. Durant une seule interprétation de Sous le vent, des milliards de particules sont soulevées.

Puis, mardi dernier, 417 longs jours et longues nuits plus tard, contre toute attente, le ministre Dubé laisse tomber : « Je me suis un peu étouffé quand j’ai vu la recommandation du DArruda sur le karaoké. Alors oui, maintenant, le karaoké est possible. » Même le mot est bien prononcé. Un peu plus et le ministre Dubé se serait mis à chanter Provocante.

La plus innocente des activités illégales est de retour ! Avec quelques restrictions, quand même. Tout le monde devra porter un masque dans le bar, même la personne qui chante, à moins qu’elle ne soit à plus de deux mètres des musiciens, des autres chanteurs et du public, ou d’avoir un gros plexi devant elle. Le karaoké étant une activité de proximité, le port du couvre-visage par la star d’un soir devrait être la norme. Ça tombe bien, chanter masqué n’a jamais été aussi populaire, comme on le constate, cet automne, à la télé.

Vous me direz que, pour éviter les dommages du karaoké, un couvre-oreilles est plus indispensable qu’un couvre-bouche. C’est un bon point, mais espérons que les stars d’un soir ont profité du long confinement pour apprendre à chanter.

C’est donc le 15 novembre que les micros se rebrancheront pour toutes les Adèle et tous les Justin du coin. Des milliers de réservations ont déjà été enregistrées et de nombreux clients ont même choisi les pistes qu’ils souhaitent interpréter. Voici une liste, pour vous faire patienter, de qui chantera quoi dans nos karaokés :

Tout ça pour rien, par Marc Bergevin

Tokébakicitte, par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

À bicyclette, par Valérie Plante

Changer, par Denis Coderre

Tous les cris, les SOS, par Greta Thunberg

Easy on Me, par Carey Price

Paroles, paroles, par la COP26

Si jamais on me cherche, par Donald Trump

Le déni de l’évidence, par les antivax

Tu ne sauras jamais, par Luc Dionne

Faut que j’y aille, par Régis Labeaume

Don’t Speak, par Michael Rousseau

On a hâte ! Le retour du karaoké est sûrement le signe le plus ostentatoire que le pire et le moins pire sont derrière nous. Si, cette nuit, on se remet à l’heure normale, le 15 novembre, on se remet presque à la vie normale. Serions-nous enfin passés du Ça va bien aller de Ginette au Ça va bien tout court de Kathleen ?

Chantons, chantons, mais pas trop fort. Parce que si le party est pogné dans les karaokés, dans nos maisons, on est encore en mode musique de chambre. Beau, chaleureux, paisible, mais tranquille. Si on veut pouvoir swigner en décembre, faut y aller mollo.

Les karaokés sont OK, mais tout n’est pas joué.