Le Parti libéral du Québec (PLQ), pour ceux qui l’ignoraient encore, est en crise.

Et c’était vrai bien avant l’expulsion de Marie Montpetit et la rétrogradation de Gaétan Barrette. L’incident en est moins la cause que le révélateur. Il jette une lumière crue sur un parti à l’identité confuse et au leadership fragile, où les couteaux volent à très basse altitude.

Au sujet de Mme Montpetit, il faut être prudent. Au moins une plainte formelle de harcèlement psychologique a été déposée. On ignore toutefois si elle sera jugée recevable. D’autres allégations circulent – mon collègue Tommy Chouinard a recueilli les témoignages de quatre personnes se disant victimes.

Sans statuer sur la plainte ou connaître la nature précise des allégations, on peut à tout le moins dire ceci : le dossier aggravera le malaise déjà existant au PLQ.

La face visible de la controverse a commencé mercredi quand M. Barrette a publié une série de tweets sur les médecins omnipraticiens. Mme Montpetit, critique en santé, l’a rabroué sans demander l’autorisation de la cheffe.

La tension était vive. Le soir même, Mme Anglade a organisé un caucus spécial. Puis samedi, elle a annoncé que les deux députés perdaient leurs responsabilités – respectivement porte-parole pour la santé et le Conseil du trésor.

La raison officielle : l’accrochage sur Twitter. Or, dès jeudi, Mme Anglade avait reçu une plainte au sujet de sa députée. Cette journée-là, elle a invité une vingtaine d’employés à son bureau pour leur demander de dénoncer tout geste répréhensible.

La cheffe savait que des journalistes travaillaient sur l’affaire. Mais elle n’en a pas glissé un mot lors de sa décision samedi. Elle attendait de voir ce que les médias publieraient. Lundi, elle a convoqué un nouveau caucus, puis Mme Montpetit a été expulsée.

Mme Anglade a été moins transparente et proactive qu’elle l’avait promis.

Quand la caquiste Marie-Ève Proulx avait perdu son poste de ministre en mai dernier à cause d’allégations de harcèlement, Mme Anglade avait été catégorique : chez les libéraux, c’est tolérance zéro.

Ce n’est pas d’hier que des libéraux critiquent le comportement de Mme Montpetit. Sous le précédent gouvernement, l’affaire était montée au cabinet du premier ministre.

Ça ne s’est pas amélioré dans l’opposition. Elle n’était parfois pas disponible quand on avait besoin d’elle. Cela lui avait valu d’être brièvement mise à l’écart à l’Assemblée nationale le printemps dernier. Elle a aussi changé quatre fois de recherchiste – l’harmonie ne régnait pas, il faut croire.

Certes, cela ne constitue pas une preuve de harcèlement psychologique. Mais à tout le moins, des libéraux se demandaient : pourquoi la récompenser avec le poste le plus visible en temps de pandémie ?

Quant à M. Barrette, l’échange sur Twitter ressemble à un prétexte pour s’en débarrasser.

La négociation avec les médecins relève du Conseil du trésor. Il commentait donc son dossier. Et en défendant sa loi 20, il ne contredisait pas sa collègue. Son parti n’ayant pas désavoué cette réforme, elle reste par défaut la position libérale.

Mais c’est connu, Mme Anglade veut changer le visage du parti. Cela passe par le départ des vétérans associés aux ères Charest et Couillard. Et surtout, cela passe par le départ de M. Barrette.

Pas moins de 65 % des Québécois ont une mauvaise opinion de lui, selon un sondage Léger publié en mai dernier. Un autre sondage interne au PLQ montre que modifier la position en santé serait la meilleure façon d’attirer de nouveaux électeurs.

Il a compris le message, et il n’est plus certain qu’il terminera son mandat en tant que libéral.

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Comment le PLQ veut-il changer ? Au cabinet de Mme Anglade, on cherche encore.

Le PLQ est un parti de pouvoir. Pour gagner, il s’est longtemps contenté de répéter les mots « économie » (pour) et « référendum » (contre). Contre la Coalition avenir Québec, cela ne fonctionne plus.

Dans le passé, le pouvoir a attiré des libéraux aux visions différentes. Ce ciment ne tient plus. De nouvelles lignes de fracture apparaissent entre les nationalistes modérés et les multiculturalistes, ou entre les progressistes et ceux qui rêvent à une intendance tranquille. À cela s’ajoutent les inévitables conflits personnels. Ainsi que le retard monumental dans les intentions de vote, qui en incite à rêver à une nouvelle course à la direction, avec leur visage sur les affiches…

Le cabinet de Mme Anglade en est à son troisième directeur des communications et son deuxième chef de cabinet. Quelques conseillers importants ont aussi claqué la porte dans les derniers mois.

La cheffe a plusieurs qualités. C’est une femme brillante, rigoureuse et charismatique en privé. Mais elle hésite à arbitrer les conflits autour d’elle, qui sont nombreux.

Le parti a créé un comité COVID-19 auquel siégeaient entre autres M. Barrette, Mme Montpetit et Marwah Rizqy, critique en éducation. Ça ne s’est pas bien passé.

Durant la course à la direction, Mme Montpetit dirigeait la campagne de Dominique Anglade. Mme Rizqy était dans le camp opposé.

Le comité ne les a pas rapprochées. Au contraire, elles ne se parlaient plus.

Mme Montpetit se plaignait également du manque de soutien au cabinet de la cheffe. Par exemple, on l’a empêchée de faire une sortie sur la COVID longue, un sujet jugé ennuyeux. Les proches de M. Barrette ne l’aidaient pas non plus.

Quant à M. Barrette, ses avis en santé restaient sollicités par les médias. Et même par le chef de cabinet de François Legault, qui l’a invité à une rencontre privée. Mme Anglade l’a appris dans les médias…

M. Barrette était son propre patron. Et Mme Rizqy peut aussi avoir beaucoup d’initiatives personnelles – elle s’était montrée favorable à un troisième lien dans une interview en mai, avant que sa cheffe doive nuancer la position.

Voilà un bref échantillon des conflits qui bouillent sous la marmite libérale. Et ça, c’était sans compter ce qui circule maintenant au sujet de Mme Montpetit.

Les autorités pertinentes devront faire le suivi au sujet des allégations. Mais à tout le moins, on peut déjà conclure ceci : le PLQ se cherche, et il s’égare.