Un hommage à Guy Lafleur, c’est toujours une bonne idée. L’homme a procuré tellement de joie à notre peuple qu’on ne lui sera jamais assez reconnaissant.

Et puis célébrer Lafleur, c’est célébrer tous ceux qui l’aiment. C’est nous célébrer nous-mêmes. C’est le propre des idoles, incarner des millions de personnes. Toutes celles à qui il rappelle tant de souvenirs. On commémore toujours les guerres, les catastrophes, les drames, les 11-Septembre, commémorer des bonheurs rassembleurs, ça fait changement.

L’évènement a lieu à Québec, devant le Centre Vidéotron, on dévoile à la fois une statue du Démon blond et une autre de Réal Cloutier. Elles rejoignent celles de Béliveau, des frères Stastny et de Joe Malone. Les deux honorés sont sur place. On sait que Guy Lafleur a de graves ennuis de santé, le voir présent, c’est émouvant.

Sous un superbe soleil d’automne, Flower prend la parole : « J’aimerais remercier en premier lieu mes coéquipiers, ils méritent beaucoup de ce que je vis présentement… » Ça, c’est lui ! Il n’a jamais eu la grosse tête. Il a toujours su que le succès n’est pas un but que l’on score sans aide.

Puis Lafleur ne parle plus. Il y a un silence. Que notre cœur décode, une fraction de seconde à la fois. D’abord, on se dit : c’est l’émotion du moment. L’effet de la statue. Et puis, on comprend que non. C’est bien beau, une statue, mais Lafleur en a déjà, des statues. Ça ne peut pas le mettre dans cet état-là. Alors c’est quoi ?

Et le silence s’allonge. De tous les mots que Lafleur ne dit pas. Sur ce qu’il vit, en dedans. Sur ce qu’il traverse. Sur comment il va. Sur tout ce qui remonte en lui, en cet instant précis, où il reçoit autant d’amour. Ça remue tellement de choses, l’amour. Que s’il ne se retenait pas, il s’effondrerait là, sûrement. Mais il ne le fera pas. Parce qu’il n’est pas là pour ça. S’il a trouvé la force d’être au rendez-vous, malgré tout, c’est parce que c’est important pour lui d’être avec nous. Depuis toujours. Et peut-être, encore plus, aujourd’hui.

Il n’est pas là pour s’apitoyer sur lui. Il est là pour nous dire merci. Et il va le faire. Comme il a toujours vécu. Humblement. Comme un grand.

Il parvient à retenir son cri. À contenir son trop-plein. Et il poursuit.

« C’est pas facile… », dit-il, en essuyant une larme au coin de son œil.

C’est pas facile…

Trois mots pour résumer la tempête dans sa tête, durant ces quelques secondes de silence. C’est tout ce qu’il laissera paraître de sa vulnérabilité. Il n’en dira pas plus. Il n’en a pas besoin. On a tout compris.

On le connaît, notre Guy. Il ne parle jamais pour ne rien dire. Il dit les choses comme elles sont. Pas pour plaire. Pas pour déplaire. Juste pour être sincère.

C’est pas facile…

On n’a pas besoin d’en savoir plus. Pour être touché. Pour être bouleversé. Pour l’admirer encore plus. D’être de la fête. Même si c’est pas facile. Ça prouve qu’il nous aime. Ça prouve qu’il a autant besoin de nous que nous avons besoin de lui.

C’est le plus beau cadeau qu’un héros peut faire à ses fans : leur faire sentir qu’ils sont au même niveau. Vraiment.

Tout le secret du lien unique qui unit Guy Lafleur et les Québécois repose là-dessus. La proximité. La réciprocité. Lafleur ne se trouve pas meilleur que nous. En patins, un peu quand même. En souliers, pas du tout.

C’est pas facile…

Combien de gens pour qui ce n’est pas facile se sont tournés vers lui, pour endurer leur sort. D’enfants dans les hôpitaux, d’admirateurs écorchés, de personnes âgées affligées qui, en suivant ses exploits au hockey, parvenaient à retrouver le sourire, le temps d’une victoire.

PHOTO ERICK LABBÉ, LE SOLEIL

Le numéro 4 porté par Guy Lafleur a été élevé jeudi dans les hauteurs du domicile des Remparts de Québec. À gauche, le commissaire de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, Gilles Courteau.

Le lendemain de la statue, il y a eu le retrait de son numéro avec les Remparts, son numéro 4, à la grandeur de la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Le p’tit gars de Thurso a reçu cet autre honneur, digne, sans craquer. En tournant la lumière vers les autres. En nous rappelant la plus grande vérité : « Dans la vie, il faut savourer chaque moment. »

Avant de nous envoyer la main, en esquissant un sourire.

Un sourire grâce à nous. Le temps d’une ovation.

Merci, Guy, pour tous les moments savoureux.

Les montées cheveux au vent, les buts, les conquêtes de la Coupe, les records.

Mais aussi, merci pour les moments douloureux.

Les excès de la gloire, la retraite non voulue, le père consterné, l’homme blessé.

Merci surtout pour ce silence qui mêlait le savoureux et le douloureux.

Bref, merci d’être vrai.

En terminant, c’est bien beau, tous ces hommages à Québec, mais me semble qu’on est mûrs pour se rappeler tes exploits à Montréal.

Je sais, tu y as déjà ta statue et ton chandail retiré, mais il y a sûrement d’autres idées pour se retrouver.

En plus, on connaît une équipe de hockey qui a bien besoin d’être inspirée.

Guy ! Guy ! Guy !